3 questions à

Valentine Dechambre a rencontré Laurence Charmont, directrice médicale du BAPU, Bureau d’Aide Psychologique Universitaire de Clermont-Ferrand. Elle a bien volontiers accepté cet entretien sur le thème des J50, dont elle déplie toute la pertinence du point de vue de son expérience clinique.

Valentine Dechambre : Comment le thème des prochaines Journées de l’ECF, Attentat Sexuel a-t-il résonné pour toi, concernant ta pratique au BAPU ?

Laurence Charmont : Je te remercie vivement de m’avoir invitée à dire quelque chose du choix du thème des prochaines Journées qui a résonné avec certaines des situations cliniques que nous sommes amenés à rencontrer au BAPU où je travaille depuis de nombreuses années.

La pratique clinique dans les BAPU est depuis leur création[1] orientée par la psychanalyse. Mais, les violentes attaques contre la psychanalyse qui ont lieu depuis plusieurs années, ont eu comme conséquence de fragiliser cette orientation. En réponse, il a été créé en 2018 une Association Nationale des professionnels des BAPU, dont plusieurs membres de l’ECF sont à l’origine, inscrivant dans ses statuts la référence à la psychanalyse.

Le BAPU de Clermont-Ferrand, par l’engagement décidé des praticiens qui y travaillent, fait l’offre aux étudiants qui s’adressent à nous, d’accueillir les formes actuelles de leurs souffrances, errances et jouissances. C’est un lieu qui privilégie l’énonciation, et qui se situe dans l’affrontement actuel de deux cliniques, celle du DSM, clinique sans parole, et la clinique sous transfert. Cette orientation a toute sa pertinence pour recevoir la plainte de sujets se rapportant à un « attentat sexuel », ce qui peut se décliner selon plusieurs occurrences, le signifiant « attentat », venant nommer une violence où l’autre a été intentionnellement visé. Les expressions cliniques consécutives à une rencontre traumatique sont diverses.

Valentine Dechambre : Comment cela se rencontre-t-il dans ta pratique ? Pourrais-tu nous donner quelques exemples cliniques ?

Laurence Charmont : Gil Caroz dans un texte paru dans la newsletter DESaCORPSnous indique « qu’il y a bien à distinguer les deux occurrences de la plainte se rapportant à un attentat quel qu’il soit : la plainte qui se réfère à la structure du signifiant, effet obscène de l’intrusion du signifiant lui-même dans le corps, ou la plainte qui se réfère à une mauvaise rencontre contingente et réelle. [2]

Il aura fallu une TS pour que ce sujet puisse enfin dire l’abus subit au cours de l’enfance par un voisin et qui avait été tu par elle et la famille. La rencontre avec un partenaire sexuel, est venue réactiver ce qui était inscrit dans le corps, l’irruption d’une jouissance opaque. La culpabilité et la honte dont elle témoigne sont à accueillir comme un traitement du trauma.

Le travail avec cette jeune fille a consisté à lui permettre de dire le point intime qui a été percuté, et à dire la résonnance fantasmatique que l’évènement traumatique a provoquée.

Certaines fois, nous sommes amenés à recevoir un sujet dans l’après immédiat d’un « attentat sexuel ». Au-delà d’un traitement médical et d’un parcours judiciaire qui sera choisi ou pas, par le sujet, quelle place pour la psychanalyse ? Laurent Dupont souligne qu’il s’agit d’« incarner un autre de confiance, là où il y avait un autre jouisseur » [3] et d’accompagner un sujet pour qu’il tente d’en rendre compte dans l’après-coup, pour saisir ce qui n’est saisissable que par ses conséquences. Nous rencontrons également dans notre pratique, toute une clinique de la soumission, de l’emprise d’un partenaire qui impose des relations sexuelles sous le mode de la violence. Comment permettre à ces sujets de sortir de ces systèmes de jouissance désubjectivants, où le sujet est réduit à un objet partenaire de la jouissance de l’Autre, à une position de déchet. Ce sont des prises en charge très délicates et toute la difficulté est de maintenir un lien transférentiel.

Attentat à la pudeur aussi, à l’intimité, comme dans le cas de cet étudiant solitaire, branché sur les réseaux sociaux pour trouver la partenaire amoureuse, et qui croyant avoir trouvé celle qui lui convenait va entamer une correspondance très intime. La révélation de la tromperie, s’apercevant que c’était un homme à qui il parlait, le plongera dans un désespoir fou, un trou, que ses séances ont permis de border.

Valentine Dechambre : Les questions actuelles, issues des mouvements féministes, ont-elles un impact dans la parole des sujets que vous recevez ?

Laurence Charmont : Quelque chose qui est tout à fait repérable, c’est le changement qu’a amené le mouvement MeToo, que je mettrai en parallèle avec le moment du mariage pour tous, qui a permis pour un grand nombre de jeunes homosexuels de libérer leur parole. Le mouvement MeToo de la même façon a soulevé la question du consentement dont on commence à mesurer les effets dans les consultations.

Il peut s’agir notamment de la plainte de certaines jeunes femmes étudiantes en médecine qui viennent interroger ce qu’elles nomment du harcèlement sexuel, alors que ces mêmes comportements s’inscrivaient (à mon époque) dans « les traditions de la salle de garde ». Il y a d’ailleurs, en cours une grande enquête nationale à ce sujet.

Autres situations où c’est par le registre de la culpabilité, que certaines jeunes femmes qui lors d’une alcoolisation, de soirées étudiantes ont subi une relation sexuelle avec des jeunes hommes eux -mêmes alcoolisés, viennent interroger le style de leur vie sexuelle dans un certain désenchantement. Lacan, dans son texte Le symbolique, l’imaginaire et le réel [4] souligne que la culpabilité est toujours préférée à l’angoisse.

Ces jeunes femmes soulèvent la question du consentement, de leur consentement notamment dans sa « complexité, ses paradoxes » [5], expression que je reprends de Virginie Leblanc qui souligne comment ce mot consentement est devenu un signifiant – maitre de notre époque.

Pour finir cette petite série, je voudrais évoquer ce qui est nouveau dans la clinique du BAPU, à savoir des demandes de consultations par ceux que l’on désigne comme les abuseurs : abus pratiqués alors qu’ils étaient mineurs sur des proches mineurs eux-mêmes et dont la révélation soudaine les entraine dans un parcours judiciaire.

Pour l’un, l’aveu des faits est éloigné de toute implication subjective : absence de honte ou de culpabilité, sorte d’indifférence par rapport à son acte, mettant un écart entre lui et son acte, comme un fait de sa biographie, attendant la sanction judiciaire pour effacer son acte. Tout l’enjeu lors des séances est de gagner sur le silence pulsionnel.

Pour un autre, il s’agit plutôt de ce que Fabian Fanjwaks désigne comme « la prise d’un sujet par un raptus »[6],constituant une énigme au cœur de l’acte, le sujet se décrivant autre à lui-même à ce moment-là. Le pari clinique consiste alors à chercher quel est le réel en jeu.

À la rencontre traumatique, il s’agit de proposer un travail, appuyé sur le transfert, qui permette au sujet que sa demande se modifie et que ce ne soit plus l’évènement, mais une question du sujet qui soit en jeu. Merci Laurence pour cette présentation du thème Attentat Sexuel faite à partir de ton expérience clinique, qui donne un aperçu formidable de la variété clinique attendue avec le choix de ce thème lors des prochaines Journées de l’ECF.

Références

Références
1 Le premier BAPU « Pascal » a été créé en 1956 à Paris.
2 Caroz G., DESaCORPS n° 5 du 16 juin à relire sur : https://www.attentatsexuel.com/honte-et-obscenite/
3 Dupont L., Arguments des J50, PART. 1 : https://www.attentatsexuel.com/les-quatre-arguments/
4 Lacan J., Le symbolique, l’imaginaire et le réel, publié dans le bulletin de l’Association freudienne n° 1, novembre 1982.
5 Leblanc V., DESaCORPS n° 2 du 4 juin à relire sur : https://www.attentatsexuel.com/consentir-mais-a-quoi/
6 Fanjwaks F., DESaCORPS n° 4 du 11 juin à relire sur : https://www.attentatsexuel.com/effraction-et-ravage/

Laurence Charmont

Psychanalyste, membre de l'ECF