« Freud et Lacan vont bien ! »

Un rêve très récent : “En institution, une collègue me demande « comment faire savoir que nous avons fait tout ce qu’il fallait pour la sécurité de nos résidents ? » Je réponds : « On ne peut tout de même pas mettre un écriteau avec « Freud et Lacan vont bien ! »

L’appui que j’ai pu trouver dans le transfert à la psychanalyse face à la mort ambiante est livré dans ce rêve.

Je suis allée au travail en Ehpad et dans un Centre de Soins de Suite, le lendemain de l’annonce du confinement, avec un sentiment de malaise et d’intranquillité. Mon angoisse était liée à ce virus que j’aurais pu transporter d’un établissement à l’autre, à la contamination de ma famille et aux pronostics mortels pour les personnes âgées que j’accompagne. Je présentais par moment des symptômes comme ceux du Covid, sans en être atteinte. Pour d’autres professionnels autour de moi, l’insupportable était l’isolement imposé aux personnes âgées et leur privation de liberté. Pour d’autres encore, c’était le « trop » de travail engendré puisque tout devenait « individuel ».

M’apercevoir que chacun vivait le moment en fonction de sa position singulière et que le réel commun – ici le virus – n’est pas le réel de chacun, eut l’effet de me remettre dans l’orientation clinique. Aussi, si tenter de contrer le réel par la loi et la mise en place de mesures sanitaires est absolument nécessaire, cela ne recouvre pas tout, il y a un reste sur lequel se fonde la clinique analytique.

L’effet sur l’angoisse fut rapide, mon désir relancé. Laissant à l’équipe médicale la tâche de nous préparer au pire : faire respecter les mesures barrières et mettre en place une « zone Covid » qui malgré tous ses aspects mortifères, préserve le vivant, j’ai pu reprendre le travail clinique permettant à nouveau la rencontre au un par un, en pariant sur l’invention de chacun pour faire face à la situation.

Ainsi, Jeanine, résidente, est inquiète. Elle ne regarde pas trop les informations, qu’elle dit « anxiogènes ». À 102 ans, elle ne s’inquiète pas pour elle, « ce serait à son tour de partir » mais pour sa famille. Avant le confinement, elle ne me parlait pas beaucoup. Depuis ces quelques semaines, elle parle. Elle ne m’invite plus à partir comme elle le faisait en disant après un silence : « vous devez avoir beaucoup d’autres personnes à voir. » Ma visite « lui fait plaisir », elle rit de situations où les infirmières « la réprimandent lorsqu’elle pointe le nez dans le couloir. » Elle appelle au téléphone d’autres résidentes de l’établissement. « Tout va bien, pas de malades ». Elle dit finalement « relativiser ». Ce moment, tragique en d’autres lieux, est supportable pour Jeanine grâce à la parole adressée.

Du côté de l’équipe soignante, j’ai accompagné les inventions qui allaient au-delà du protocole de soins et de la seule technique médicale. Un programme de promenades accompagnées dans le parc de l’établissement fut proposé aux résidents et la promenade devint ainsi « un soin » alors que l’extérieur manquait ! D’autres inventions comme une boutique ambulante, la lecture du « journal du confiné », des temps de présence en chambre ont permis qu’aujourd’hui chacun « y soit » avec son corps et en mouvement.

La pratique en ce temps de confinement est ainsi réinventée et s’appuie plus que jamais sur le désir, le transfert et la parole.

Christel Astier