Que savent les enfants ?

Intervenante au CPCT de Clermont-Ferrand et débutant le traitement d’une fillette, le livre Que savent les enfants ? Questions et réponses au CPCT [1] a suscité ma curiosité.

En introduction, Lilia Mahjoub [2] énonce « Dans les cures avec les enfants, les psychanalystes ont à répondre à la hauteur du sujet [3]» et, le savoir n’est « pas tout à fait dans le Réel, mais sur le chemin qui nous mène au Réel [4]». Ceci m’a intriguée tout le long de ma lecture.

Le sujet est parlé, pris dans les signifiants qui circulent autour de lui dès son plus jeune âge, avant même qu’il ne parle et ne soit né. Ce bain de matière sonore, motérialité du signifiant, va impacter le sujet, son corps et le modeler. Ce savoir insu se retrouvera dans les formations inconscientes de l’enfant.

Ainsi, Laure Naveau [5] souligne la place première du savoir de l’enfant dans notre pratique avec eux, les théories sexuelles infantiles venant comme en second.

Le cas de Théo, écrit par Barbara Bertoni[6], illustre ces différents points. On y voit « la particularité de la pratique avec les enfants : quelque chose qui s’élabore en deçà de ce qui s’énonce dans les séances et qui en même temps va avoir un effet très concret sur ses relations aux autres, sur sa manière d’être dans le monde [7] ».

Derrière la peur des monstres qui amène Théo à s’adresser au CPCT, la question traitée par ce sujet de 5 ans sera « comment être un garçon ? ».

Mimant et bruitant le monstre, Théo est et fait le monstre. Un point de jouissance émerge. Il accepte ensuite de le dessiner et demande qu’il soit transmis aux autres enfants pour qu’ils apprennent ce qu’est un monstre. Théo opère une séparation d’avec les angoisses maternelles.

La réception du jeu de cache-cache, montrer-cacher une partie de son corps, que Théo instaure à partir du divan qu’il nomme « mon lit », met en circulation le regard déjà présent dans ses cauchemars. S’effectue ainsi un traitement et une séparation d’avec cet objet. Théo cesse de « montrer son zizi » et ses envies pressantes récurrentes disparaissent.

Se référant à Lacan qui fait du phallus un signifié, Lilia Mahjoub souligne que « les monstres » est aussi à prendre sous ce registre. Ainsi, Théo, de ses nuits agitées, reçoit l’interprétation discrète de la praticienne sur le bouger qui se passe la nuit pour les garçons. Il s’apaise alors, ne se cogne plus. Avec le signifiant « monstre », Daniel Roy [8] pointe l’élaboration de savoir par ce sujet sur le réel de sa jouissance articulant le regard et sa question intime de garçon. Un des points de ce cas est de montrer que le sujet se défait d’un savoir insu et que « le monstre » est aussi un moyen pour traiter le réel en jeu.

Ainsi, je retiendrai : « Il n’y a pas besoin de savoir qu’on sait pour jouir d’un savoir [9] » et « Il n’y a pas besoin de savoir ce que l’on fait pour le faire, et pour le faire en le sachant très bien, c’est ce que veut dire l’inconscient [10]».

Je vous invite à lire les autres cas commentés et discutés lors de cette passionnante Journée du CPCT-Paris.

Références

Références
1 Que savent les enfants ? Questions et réponses au CPCT, Paris, Huysmans, 2021. Ce recueil rassemble les textes préliminaires et ceux des interventions qui ont eu lieu le 28 septembre 2019 lors de la Journée annuelle éponyme du CPCT-Paris à la mairie du 5e arrondissement de Paris.
2 Lilia Mahjoub est psychanalyste, AME de l’École de la Cause freudienne, enseignante à la Section Clinique de Paris-Ile-de-France et présidente du CPCT-Paris jusqu’en 2020.
3 Mahjoub L., Que savent les enfants ? Questions et réponses au CPCT, op. cit., p. 9.
4 Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 11 juin 1974, inédit.
5 Naveau L., Que savent les enfants ? Questions et réponses au CPCT, op. cit., p. 23.
6 Barbara Bertoni est psychologue et praticienne au CPCT-Paris.
7 Matet J.-D., Que savent les enfants ? Questions et réponses au CPCT, op. cit., p. 85.
8 Daniel Roy est psychiatre et psychanalyste à Bordeaux, AME de l’École de la Cause freudienne et de la NLS, secrétaire général de l’Institut de l’Enfant-UPJL, coordinateur du CLAP « L’enfant qui vient », unité du CPCT Aquitaine.
9 Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », texte établi par J.-A. Miller, La Cause du Désir, n° 95, avril 2017, p. 11.
10 Ibid., p. 13.

Aurélie Boissinot