Délégation Brive-Limoges-Tulle

Degas E., Café-concert (les spectateurs), 1876.

Écho du Café-cartels le samedi 3 décembre 2022 à Tulle

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La délégation Brive-Limoges-Tulle de l’Association de la Cause freudienne en Massif central a lancé une invitation de rencontre Café-cartels, dans la perspective d’un nouage de son activité locale au dispositif du cartel, en lien direct à l’École de la Cause freudienne.

À ce titre, Jean-François Cottes, psychanalyste, membre de l’ECF et délégué aux cartels pour l’ACF en MC, a accepté de se déplacer jusqu’à Tulle pour participer à cette réunion dont le thème était ainsi formulé : « Comment fait-on institution aujourd’hui ? »

Dans nos rencontres professionnelles ou citoyennes, de nombreux témoignages de professionnels et de résidents font part des modalités contemporaines de plus en plus inquiétantes de la vie en institution.

Au cours de cette matinée d’échanges, chacune des quinze personnes présentes a pu évoquer les aspects concrets mettant en danger la raison même de son travail contraint par un mouvement actuel de désinstitutionnalisation. Des métiers historiquement repérés disparaissent sous des voiles modernisés avec l’apparition de signifiants qui font mots d’ordre parmi lesquels « auto-détermination », « inclusion ». On entend combien ces glissements sont soutenus par la logique néo-libérale accentuée par une certaine croyance dans le miracle des neurosciences.

Plusieurs foyers de vie et d’hébergement pour travailleurs handicapés voient leur existence menacée à court terme, dans une visée « d’autonomisation » des résidents. Ils attendent des logements autonomes, conformes à un certain idéal d’accès à une « vie normale ». Il leur reviendra de faire appel aux services tarifés d’aidants « coordonnateurs de projets », nouvelle dénomination des éducateurs. La qualité de liens sécurisants risque fort de devenir ténue, aucun lieu ne pouvant remplacer la constance d’un lien.

Plusieurs psychologues regrettent, à l’heure du tout neuro, que la dimension clinique ne soit plus aujourd’hui portée par aucun psychiatre, notamment dans la pratique auprès des enfants autistes.

Toutefois, établir un constat ne suffit pas à produire un espace pour penser, supporter, proposer. Comment faire ouverture et maintenir la dimension désirante à l’heure de l’évaluation et de la standardisation ?

Comment répondre à ces évolutions rencontrées dans les institutions ? Comment subvertir les signifiants modernes de l’institution pour ouvrir une marge et pouvoir travailler dans les interstices ?

La discussion a permis de saisir qu’il n’y a pas à imiter un quelconque modèle. Il s’est agi plutôt de laisser place aux trouvailles et aux inventions de chacun en institution.

La précarité n’épargne pas les services hospitaliers de psychiatrie ou de pédiatrie. Il peut y avoir moyen de se décaler de l’urgence qui oppose la temporalité subjective à la temporalité médicale. Plusieurs praticien(ne)s ont confié leurs inventions humbles mais déterminées en appui sur leur désir : miser sur la circulation de la parole, promouvoir des réunions professionnelles privilégiant le repérage précis des situations de précarité, concrète ou symbolique, favoriser la considération de la logique de chaque sujet accueilli.

J.-F. Cottes a indiqué comment nous sommes sortis d’une époque où le lien consistait de lui-même par la présence massive d’un Autre qui ordonnait le lien, sur les corps, sur les âmes. Il y avait alors perfusion (père-fusion ?) du lien qui donnait une orientation, voire un Sens (S majuscule). Aujourd’hui, le lien n’est plus commandé par l’Autre. Il ne consiste plus de lui-même. Pour le dire en termes lacaniens : l’Autre n’existe pas.

Comment, dans cet espace, générer du lien ? C’est à chacun d’exercer sa marge, d’apporter son bricolage.

Le cartel, outil de l’ECF, est un dispositif de lien qui permet d’extraire ce qui vaut pour soi comme usage. C’est un dispositif où, dans une intimité de travail, chacun(e) peut articuler des questions cliniques à des questionnements propres.

L’appui sur la lecture de textes a été souligné. Plusieurs références ont été citées : Freud S., Malaise dans la civilisation [1], Lacan J., La troisième [2]; Milner J.-C., La politique des choses [3].

Les soirées inter-cartels permettent de témoigner du produit de son travail.

La revue Cartello [4] recense et fait circuler ces témoignages.

Une perspective se dessine : on arrive en cartel avec une question et au terme du travail, une nouvelle apparaît, différente, soutenant ainsi le désir vivant.

À la suite de cette discussion, des rencontres spontanées entre certain(e)s participant(e)s donneront probablement lieu à la constitution de nouveaux cartels. Deux sont déjà en cours de déclaration, deux autres sont en cours de constitution.

Cette rencontre est donc un point de départ de l’activité BLT pour 2022-2023.

Des retours d’expériences, des points d’étape sont envisagés pour poursuivre et ponctuer le travail qui s’engage, de manière souple par la voie du cartel. Lorsque plusieurs cartels seront à l’œuvre, une rencontre inter-cartels pourra être organisée et une conférence proposée sur ce thème de l’institution mise à mal.

La délégation travaille aussi à l’organisation de rencontres connexes, notamment autour de la présentation d’ouvrages contemporains traitant de ces questions, par leurs auteurs, dans une librairie à Limoges.

Références

Références
1 Freud S., Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971.
2 Lacan J., La troisième, Paris, Navarin, 2021. publié également dans La Cause freudienne no 79, Paris, Navarin, 2011.
3 Milner J.-C., La politique des choses, Verdier, 2011. publié également aux éditions Navarin, 2005.
4 https://www.causefreudienne.org/types-newsletters/cartello/

Pour le bureau de la délégation Brive-Limoges-Tulle : Fanny Laramade, Gérard Darnaudguilhem, avec le concours de Nadine Farge