« Au niveau du sens, tout ce qui se dit est susceptible d’être interrogé sur ce que ça veut dire, si bien que la parole qui s’explique est obligée de se poursuivre sans fin, contrainte de se compliquer, de se tordre sur elle-même. C’est à croire que la parole boit le sens. »[1].
Ça tient ! Six semaines de confinement et ça tient ! Je reste avec ces mots comme étant la première surprise de l’effet du confinement au CTR de Nonette. Je me posais la question de comment contenir un confinement qui risque de durer, avec des sujets psychotiques ? Sans recours à la camisole chimique ? Et sans le soutien des réunions cliniques ?
Dès le début, j’ai pu observer, voir et apprendre à faire mon travail comme je le faisais avant sans être prise dans le discours ambiant et anxiogène. J’avance, je tâtonne avec le désir d’y être, avec une présence qui s’appuie sur le transfert et l’expérience.
« Le réel c’est quand on se cogne. »[2] Et le cognement se réveille parfois au Centre avec « la paix du soir »[3] un peu avant le repas, à l’heure des traitements. L’instant est fragile. Ça peut… casser, chuter, briser, frapper, pleurer. Et le confinement n’est pas venu perturber ce cognement ni le faire disparaître, ni fait l’accroître. Par contre il a fait resurgir le réel bien caché dans la névrose.
Les premiers jours ont été difficiles, tant nous étions tous dans une complète ignorance sur ce virus. J’ai pu constater combien notre peur, nos angoisses avaient une portée directe sur les sujets psychotiques sur qui les gestes barrières n’ont aucun impact. « Ne me touche pas, reste à un mètre de moi, tousse dans ton coude… » cela les inquiète plus et les pousse au passage à l’acte. Avec le hors-sens, cela passe mieux. Du moins essayons-nous. Dire les choses autrement.
Le hors-sens ne m’a jamais autant aidée. En ces temps difficiles, je peux m’appuyer sur l’enseignement de S. Freud, de J. Lacan ou de J.-A. Miller, sur l’enseignement d’orientation lacanienne soutenu au CTR de Nonette.
Malgré le manque provoqué par l’absence de réunions cliniques si nécessaires, je n’ai pas tout oublié de l’élaboration clinique. Je me rends compte qu’on est seul que si l’on pense être seul. La clinique est et a toujours été là. Avec le désir d’y être.« Tout mythe se rapporte à l’inexplicable du réel, et il est toujours inexplicable que quoi que ce soit réponde au désir. »[4]Le travail au un par un dans un travail à plusieurs, chaque intervenant en parle et en reparle mais dans le réel, il se vit.
Comment tordre le cou au discours plein de sens, de bons sens qui est venu nous « bombarder » en ce temps de guerre au CTR, les recommandations des ARS, les réseaux sociaux, les fakes-news, les chiffres… ? Je me suis dit qu’après tout « La psychanalyse est un remède contre l’ignorance. Elle est sans effet sur la connerie. »[5] J’ai fait le choix de continuer à m’en servir comme boussole.
Je continue avec l’humour, la joie et le désir. Le réel se vit, « s’évit », toujours différemment et le travail est à construire chaque fois différemment. Comme une invention. Une trouvaille. Le désir reste mon moteur, comme une gamine toujours émerveillée par mon travail, ça réveille !
Comme ce jeune qui le matin à 7h à mon arrivée me dit, suite au discours du Président de la République, avec un sourire jusqu’aux oreilles : « OUAIH, c’est génial dans quatre semaines, je vais voir ma maman. » dont le propos hors-sens m’a fait rire ! Je commence ma journée comme ça. L’ironie du psychotique !