« Sigmund Freud, un juif sans Dieu »

« Ce qui reste d’actualité pour nous qui nous orientons de la psychanalyse, c’est Freud, c’est Lacan, ce sont les outils qu’ils nous ont donnés pour saisir le moment présent. » écrit Laurent Dupont dans sa lettre du 22 avril dernier[1]. N’est-ce pas un des pouvoirs évocateurs du documentaire de David Téboul, « Sigmund Freud, un juif sans Dieu » [2] que d’avoir quelques résonnances avec le moment présent ?

Claudine Valette–Damase en présentant ce film[3] m’a donné l’envie de le voir et d’en dire quelques mots.

David Teboul dit avoir pris le parti de construire son documentaire « à partir du processus d’association libre »[4] essayant de rompre avec la chronologie biographique. Des documents d’époque en noir et blanc ou petits films tournés en super 8, images des jeux olympiques de Berlin en 1936, situations en décalage, parfois grotesques produisent un effet d’inquiétante étrangeté, comme un rêve angoissant. Sont insérés dans ce documentaire des photos, des bouts de films rares, tournés en famille principalement par Marie Bonaparte appartenant au cercle des intimes : ce sont des images dérobées de Freud évoluant dans son quotidien, lui qui n’aimait pas être filmé ; elles nous le rendent extrêmement présent et touchant. De nombreux extraits de sa correspondance portés par la voix des acteurs[5] contribuent à donner corps à son énonciation. Les commentaires d’Anna Freud, de Lou Andreas-Salomé et Marie Bonaparte [6] nous accompagnent dans ce parcours.

Freud a connu les horreurs de la « Grande guerre », témoin de cette tuerie généralisée. Il a connu l’angoisse, l’incertitude, la mort de proches, ses fils mobilisés ne sachant pas s’il les reverrait, ses collègues au front ou dans les hôpitaux.

Dans une lettre de novembre 1914, adressée à Lou Andréa-Salomé, il fait part de son désenchantement : « Je ne doute pas que l’humanité se remettra aussi de cette guerre-ci mais je sais avec certitude que moi et mes contemporains nous ne verrons plus le monde sous un jour heureux ».[7] Il en garde une méfiance radicale envers les processus de la civilisation.[8] Comment donner sens à l’impensable, à ce qui n’a pas de mots ?

De nombreux soldats de retour du front sont traumatisés, pris d’angoisses nocturnes et de dépressions ; ils sont hantés par des épisodes morbides que le soldat se repasse en boucle. Freud se laisse enseigner par les névroses de guerre ; Il fait l’hypothèse d’une pulsion de mort – à l’œuvre dans cette « compulsion de répétition » – qui marque un virage décisif entre sa première et deuxième topique, par la place faite au surmoi. [9] Le Surmoi, c’est le versant réel de l’inconscient.[10] La dimension symptomatique de l’expérience n’est-ce pas ce réel qui est propre à la psychanalyse et qu’elle traite ?

Références

Références
1 Dupont L. président de l’École de la Cause freudienne, lettre du 22 avril 2020 publié par ECF messager
2 « Sigmund Freud, un juif san Dieu », film de 2019, de 100 mn, réalisé par David Téboul et programmé sur la chaine de télévision, Arte, le lundi 6 avril 2020.
3 Présentation de Claudine Valette–Damase dans un courrier du 2 avril 2020 : « Dans cette période si difficile qui suspend l’ordinaire et ouvre à des temps incertains, le film permet de se rappeler combien l’invention de la psychanalyse tient à la vie de Freud, lui-même capable de surmonter les pires épreuves personnelles et les impasses les plus terrifiantes de la civilisation, et de surcroit, d’en tirer des enseignements dont la pertinence éclaire nos vies encore aujourd’hui. »
4 Télérama n°3664, p. 48.
5 Mathieu Almaric prête sa voix à Sigmund Freud.
6 Isabelle Huppert (Anna Freud), Jeanne Balibar (Lou Andréas Salomé), Catherine Deneuve (Marie Bonaparte) et Denis Podalydès, le narrateur.
7 Freud S., Lettre du 25 novembre 1914 adressée à Lou Andréa-Salomé, Gallimard, 1970.
8 Freud S. Malaise dans la civilisation, (1929), Paris, PUF, 1971, p. 64 : « L’homme n’est point cet être débonnaire, au cœur assoiffé d’amour… »
9 Freud S., Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1970.
10 Rabanel J.-R., Malaise dans le désir, 3e séance du séminaire des échanges à Moulins, le 8 février 1997, inédit.

Nicole Oudjane