ENTRETIEN AVEC J.-R. RABANEL

V. Dechambre – Dans la précédente édition du Courrier, vous présentiez une vignette clinique en lien avec la situation sanitaire, le coronavirus et le confinement. Il s’agissait de Roland, un patient du CTR[1] de Nonette. Pourriez-vous nous donner de ses nouvelles ?

J.-R. Rabanel – Roland a été le premier suspecté d’être contaminé par le coronavirus à Nonette, à partir de signes digestifs, vomissements, asthénie et une petite fébricule matinale. Ce qui a donné lieu à une admission aux Urgences de l’hôpital qui l’a adressé en urologie où il est resté une semaine.

Il est rentré à Nonette le 1er avril pour, le lendemain, être à nouveau hospitalisé devant la reprise des vomissements.

Cette seconde hospitalisation à l’hôpital a duré une semaine.

Le lendemain de son retour à Nonette, la reprise des vomissements le conduit à nouveau à l’hôpital, où il est resté deux semaines.

Ces trois temps d’hospitalisation successifs ont été nécessaires pour faire le tour d’un problème médical complexe à élucider, et en plus dans un contexte de pandémie où les médecins se sont trouvés partagés entre la mobilisation générale pour freiner l’extension du virus et les soins intercurrents ou au long cours à prodiguer aux patients ordinaires ou aux personnes handicapées.

Ce contexte a concerné doublement Roland.

– Ayant estimé avoir fait le tour de la question et devant la pression pour réquisitionner le bloc opératoire à fin d’accueillir des malades en réanimation de la région Île de France, les urologues du CHU ont jugé non urgente une intervention et renvoyé Roland à Nonette avec une prescription d’un lit médicalisé.

– La suspicion de contamination alors que les tests régulièrement pratiqués à l’entrée et à la sortie de ces hospitalisations ont toujours été négatifs.

Les trois temps d’hospitalisation successifs ont mis en évidence son calme, chaque fois noté par les professionnels de santé, la qualité des liens qu’il est capable de nouer avec eux, spécialement avec le personnel féminin.

Les retours à Nonette ont montré la sensibilité somatique de Roland à l’angoisse de l’autre.

Ils ont permis de distinguer deux types de confinement pour Roland.

À l’hôpital, Roland est confiné, comme chacun. Le confinement a alors la structure du refoulement.

À Nonette Roland est confiné doublement.

Il est l’objet d’un confinement renforcé. Il ne partage pas le confinement commun, puisque venant de l’extérieur, il doit être confiné strictement dans sa chambre, durant 14 jours, dans un lit médicalisé avec barrières et sédatifs.

Le confinement a alors la structure de la forclusion.

Le confinement est positif lorsqu’il permet à chacun de se saisir de cette occasion de décentrement, sans se perdre pour autant.

Le confinement favorise le lien social. Les moines avaient fait cette découverte. Lacan en savait quelque chose dans son intime familial. Freud également avec l’Unheimlich.

L’extimité est, chez Lacan, le concept topologique qui permet de mettre en continuité intérieur et extérieur.

Le cas de Roland relève de cette continuité-là.

Tout se joue sur le mode « entrer et sortir, garder et expulser. »

Les hospitalisations ont mis en évidence une division chez chacun de ceux qui l’accompagnent à Nonette, entre la peur et l’angoisse.

Il y a la peur devant une réalité dangereuse, ici le virus.

Le traitement de la peur est celui que prescrit la loi, ici les dispositions spéciales pour le confinement des personnes handicapées, les masques, la distanciation physique, mais pas sociale, comme on l’entend à la TV.

Il y a l’angoisse qui est autre chose et que le transfert permet d’aborder avec le Discours analytique.

Il reste à chacun à faire le trajet pour que ce passage de la peur à l’angoisse soit effectif, car ce passage n’est pas effectué une fois pour toute, mais il doit être effectué sans cesse.

Le suivi de Roland a permis d’interroger la question du transfert, celui de l’interprétation hors sens avec l’importance de la lettre, comme je le soulignais dans l’édition précédente du Courrier[2].

Le transfert de Roland est marqué par une certaine voracité, cependant mesurée.

Roland a montré ce qu’il est possible à un sujet assez démuni, d’obtenir comme savoir-faire avec la jouissance, par la rumination, par l’itération du S1.

Le virus est bête. Il attaque le corps parlant à la racine S1.

C’est le transfert qui permet de faire, au jour le jour, avec ce réel.

Roland va continuer à nous montrer le chemin par son expérience dans l’abord du corps parlant et du corps en médecine.

Dans son séminaire Le moment de conclure, le 15 novembre 1977, Lacan avance ceci : « Que la psychanalyse est à prendre au sérieux, bien que ce ne soit pas une science. »

« C’est une pratique de bavardage. Aucun bavardage n’est sans risque. Déjà le mot bavardage implique quelque chose. Ce que ça implique est suffisamment dit par le mot bavardage. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas que les phrases, c’est-à-dire ce qu’on appelle les propositions, qui impliquent des conséquences, les mots aussi.

Bavardage met la parole au rang de baver ou de postillonner. Il la réduit à la sorte d’éclaboussement qui en résulte. Cela n’empêche pas que l’analyse a des conséquences.

Elle dit quelque chose. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Dire à quelque chose à faire avec le temps. L’absence de temps est quelque chose qu’on rêve, c’est ce qu’on appelle l’éternité et ce rêve consiste à imaginer qu’on ne rêve pas seulement quand on dort.

L’inconscient c’est très précisément l’hypothèse qu’on ne rêve pas seulement quand on dort. »

V. Dechambre – Je vous remercie pour cette présentation clinique très enseignante sur les effets du transfert analytique dans la prise en charge médicale d’un sujet, assez démuni, dans ce moment de pandémie. La citation de Lacan, avec laquelle vous terminez cette présentation, fait le lien entre virus et rêve, constituant ainsi une formidable introduction clinique aux éditions à venir du Courrier sur le thème du rêve ! Merci encore à vous…

Références

Références
1 Centre thérapeutique et de recherche de Nonette
2 Courrier ACF MC Édition Spéciale – Au temps du confinement, avril 2020

Jean-Robert RABANEL

Psychanalyste, membre de l'ECF et de l'AMP