En ce temps de confinement, le chemin que j’ai parcouru depuis plusieurs années en analyse aura eu des effets inattendus : il m’aura permis de supporter ce moment sans me trouver débordée par l’angoisse. D’avoir pu saisir quelque chose du « trou dans le savoir »[1], je trouve une nouvelle respiration face à l’inconnu auquel ce Covid contraint.
Ce virus m’a fait l’effet d’une déflagration, mais silencieuse, d’où cette étrangeté, pas de bruit pour cette cellule qui se niche dans nos voies respiratoires, la gorge, les poumons, au fond qui s’attaque à ce qui est vital pour l’homme : sa respiration.
Le confinement généralisé ouvre un espace-temps inédit. Il ne s’agit pas de vacances, ni de repos dominical, ni de congé maladie. Il peut plonger chacun au(x) confin(x) qui ne ment, confins de l’existence, sur le fil, en bascule, ce qui donne un effet de vertige.
C’est le réel qui frappe à la porte.
Le nom de cette maladie Covid, signifiant tout seul, apparait alors comme le signifiant même de l’époque : faire le vide. Ne peut-on interroger ce vide comme une conséquence de la mondialisation du marché ?
Il est sûrement trop tôt pour tirer les enseignements de cette effraction du réel, et entrevoir une issue. Il est bon de rappeler ce que Lacan exprimait à ce sujet : « Dans l’ordre du réel, nous sommes tout le temps forcés de supposer. »[2]
Le confinement inverse tout de ce que nous consentions à faire dans notre société débridée. Cet envers des choses établies, nous pousse sur le bord, aux limites.
Il met à jour ce moment de l’analyse de « tension entre le savoir et le trou » [3] où le sujet consent à découvrir son désir intranquille, et qui ne saurait se combler de faux-semblants, ni de faux partenaires.
Mais le confinement ne réduit pas au silence. Il révèle ce désir impérieux de maintenir le lien à la psychanalyse, à la communauté de travail, mais de manière différée, par l’écriture, par la lettre.
La lettre fait bord, comme l’a souligné Lacan. « La lettre n’est-elle pas… littorale plus proprement, soit figurant qu’un domaine tout entier fait pour l’autre frontière, de ce qu’ils sont étrangers, jusqu’à n’être réciproques ? Le bord du trou dans le savoir, voilà-t-il pas ce qu’elle dessine. »[4]
Cette catastrophe ne s’imbrique-t-elle pas au symptôme de chacun précisément sur le bord, aux confins, à la frontière de ce qui est encore étranger.
Je rejoins Armelle Guivarch[5] quand elle nous exhorte à « écrire pour être en lien, opérer le déplacement ». L’écriture n’est-elle pas une façon de témoigner du réel qui ne peut pas se dire?
Références
1 | Lacan J., « Lituraterre », Autres écrits, Paris, Editions du Seuil, 2001, p. 14 |
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2 | Lacan J., Les non-dupes errent, Séminaire XXI, leçon du 12/02/1974, inédit |
3 | Laurent D., Le savoir et l’École, 6 avril 2018, Barcelone |
4 | Lacan J., Lituraterre, op. cit. |
5 | Guivarch A., « Le coronavirus, une rencontre avec le réel ? », Lacan Quotidien n°872, 9 mars 2020 |