« L’inconnu du cartel dans sa constitution, l’insu du cartel dans son fonctionnement »

Lundstrøm V., Blå og lyserød ellipse med firkanter på brun og blå baggrund, 1918.

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Écho de la soirée des cartels du 17 juin 2022

À ma contribution de ce soir, j’avais d’abord pensé mettre en titre : L’inconnu du cartel.

Inconnu non pas au sens de la personne, encore que… qu’est-ce que ça veut dire connaître une personne ? Nous savons que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes mais ici c’est la question du sujet qui nous occupe…

Inconnu plutôt au sens de l’objet du cartel, qu’est-il vraiment ?

Inconnu au sens de sa fonction, plutôt visée à des fins de savoir, comme le dit Jacques-Alain Miller dans son article : « Cinq variations sur le thème de “l’élaboration provoquée” [1]»

La question du savoir est essentielle, mais alors c’est plutôt « l’insu » qui va œuvrer en sous-main. L’inconnu est cette part qui se maintient dans le choix de 4 qui décident de faire cartel. Cette place de l’inconnu n’est pas réductible complètement, et elle a sûrement une fonction que peut présentifier la survenue de crises, même si ces crises relèvent d’autres causes, causes du désir pour chaque un.

L’inconnu est à prendre en compte au moment où l’un des cartellisants contacte le futur plus-un, ce qui produit chez lui, chez moi en tout cas, toujours un effet de surprise qui perdure même après l’élimination de toutes les rationalisations le plus souvent imaginaires qui permettraient de rendre compte du choix du plus-un.

Ce petit questionnement est finalement de peu d’importance puisque ce qui est en jeu dans le cartel, c’est « de créer des conditions susceptibles de provoquer comme telle l’élaboration d’un savoir, pour chacun de formuler sa propre question, celle d’avoir à en réaliser un produit [2]».

Quant au plus-un, il n’est pas à la place d’un enseignant, d’un qui saurait, ni à celle non plus du sujet supposé savoir qu’il a pu occuper dans sa fonction d’analyste, ni à la place d’un maître mais plutôt d’un agent provocateur.

Il est là pour décompléter le groupe de ses effets imaginaires tout en maintenant active, chez chacun, la cause qui fait du savoir une énigme et en suscitant un désir d’y répondre. C’est ce problème de l’incompréhension qui revient tel un leitmotiv lorsqu’on s’essaie à la lecture du texte lacanien.

Cette question de « l’incompréhension face à un texte » comme le souligne Bernard Lecœur dans son article de la même lettre mensuelle no 61 : « La « non compréhension » dans le cartel » renvoie à la précarité du savoir qu’on se prêtait à soi-même, d’où un renforcement possible du sujet supposé savoir, ce à quoi le plus-un doit parer. Il convient de mettre cette incompréhension au travail, ce qui comporte précisément un affadissement du sujet supposé savoir. Le plus-un doit maintenir cette fonction d’incomplétude. L’affadissement de ce sujet supposé savoir a pour conséquence un affrontement du sujet à un point d’énonciation là où le savoir s’invente.

Je suis d’accord avec Bernard Lecœur pour insister sur la distinction entre l’état d’incompréhension qui est un effet de sens camouflé et l’incompréhension mise au travail d’où sa proposition de nommer l’incompréhension mise au travail une « non-compréhension » : à la place de l’idéal de l’incompréhension, mettre celle-ci au travail en lui donnant un effet de bord. C’est elle qui retient le lecteur, le commentateur du texte de Freud et de Lacan.

C’est l’expérience du cartel qui met en valeur cette oscillation entre cette incompréhension du côté de l’effet de sens camouflé et l’incompréhension mise au travail qui, à mon avis, se situe plus du côté d’un impossible à dire, d’un réel.

Ce que je viens de rappeler, de souligner m’est apparu nécessaire pour orienter la pratique de ce cartel dont certains des membres étaient novices dans l’usage d’un tel dispositif, tout en étant intéressés par ailleurs par l’expérience d’une cure analytique.

Le thème de l’angoisse nous a donc réunis pour faire cartel. Chacun y est allé de ses préférences préalables au démarrage du cartel, préférences qui ont été utilisées ou non au cours des séances de travail. Et bien sûr, le Séminaire L’angoisse [3], revenait très fréquemment dans nos premières rencontres, avec parfois l’étude d’un fragment d’une leçon. Peu à peu, Lacan l’a emporté si je puis dire, et nous avons décidé de tenter de lire les leçons du Séminaire, ce qui n’exclut évidemment pas l’intérêt pour les références dont Lacan émaille ses leçons.

Pour chacune de nos réunions, deux ou trois d’entre nous se répartissent les sections de leçon telles que J.-A. Miller les a organisées dans la rédaction du Séminaire.

Je voudrais souligner au-delà des difficultés à s’affronter au texte de Lacan, le plaisir que j’ai pris à travailler avec les membres du cartel au vu de leur implication, de leur application dans le travail, ce qui nous a conduits à la poursuite du cartel pour une deuxième année.

Références

Références
1 Miller J.-A., « Cinq variations sur le thème de l’élaboration provoquée », Lettre mensuelle no 61, juillet 1987, texte d’une intervention à l’ECF le 11 décembre 1986.
2 Site de l’ECF, la présentation du cartel.
3 Lacan J., Le Séminaire, livre x, L’angoisse, texte établi par J.-A Miller, Paris, Seuil, 2004.

Christian Fontvieille