« Adeline »

Attentat Sexuel : le titre des prochaines journées de l’ECF a d’abord produit, provoqué un affect d’effroi, de répulsion, d’horreur. En l’écrivant, en l’écrivant simplement, ce qui s’imposait, c’était de le redoubler, comme si le simple redoublement pouvait en atténuer la charge, en tempérer l’effraction. Le deuxième mouvement, c’est un « je n’en veux rien savoir », je ne veux rien en voir, rien en entendre, rien en lire. La proposition de Valentine Dechambre d’écrire un petit texte pour le courrier de l’ACF, une carte blanche, là où l’orange de l’affiche m’aveuglait, m’a d’abord laissé interdit, avant de lui donner un accord de principe trouvant son origine plus dans la férocité du surmoi, que dans les satisfactions de la création ou le narcissisme de l’escabeau. On ne peut écrire qu’à partir de l’impossible, ce qui ne relève en rien d’un défi, le « on » ne s’abritant pas d’une généralisation indéterminée et douteuse, mais témoignant de l’effacement du sujet devant une effraction qui le marque à jamais, comme trace de vie. L’impossible n’advient pas dans l’instant de l’effraction, qui fait disruption dans la catégorie même de la temporalité, il résulte du consentement à une lecture logique qui permet d’isoler le Un, le « tout seul » à partir de la série de ses impacts sur le corps.

« Il n’y a pas de rapport sexuel », cette formule de Lacan, cette formule choc au moment où il la prononce, celui de la croyance en la libération sexuelle, ne cesse de provoquer un malaise, alors que l’orgasme devient la mesure de toute sexualité qui se respecte, c’est-à-dire qui trouve ses formes dans les lois du marché. Mais, ce sentiment de malaise, qui peut confiner à l’insatisfaction ou favoriser la revendication, permet de rester à l’abri de la castration, abri de fortune ou de malheur, en laissant le champ libre à la jouissance de l’Autre qu’il n’y a pas.

« Attentat sexuel » ne met pas l’accent sur le défaut, l’absence d’articulation, mais sur le surgissement de l’Un, sur ce qui s’impose du réel, le Ya d’lun. Sa profération, son écriture même inscrit, écrit ce qui du réel contingent ne cesse de s’écrire dès lors que le corps, qu’un corps en est marqué. Il ne s’agit plus du sexuel dans la rencontre avec l’autre, même si cette dernière peut en être la condition, mais du sexuel comme trace de l’intrusion du signifiant, comme marque du corps qui se jouit.

Le lendemain d’avoir donné mon accord à Valentine Dechambre, englué dans le silence qui en résultait, lors d’une réunion à Nonette, j’ai évoqué l’appel téléphonique d’un jeune la veille, et en même temps que je parlais, je me suis dit, c’est cela, c’est cela un attentat.

Il m’avait appelé la veille pour me demander de décider en réunion qu’un de ses camarades ne vienne plus coucher dans le bâtiment où lui-même dort. Le simple fait de lui donner mon accord a suffi à l’apaiser alors que la violence était à fleur de peau. Ce qui m’était paru comme énigmatique était venu s’éclairer sans lever totalement le voile sur ce qui s’était passé plusieurs semaines auparavant. Alors que le jeune en question était venu dormir dans le même bâtiment, il avait passé la nuit devant sa porte en disant « on baise… », signifiant hors sens aussi bien pour l’un que pour l’autre, mais marque de l’effraction du sexuel, là où la fonction phallique d’être absente laisse place à un espace sans limite. On peut alors lire cette profération du signifiant tout seul comme un attentat sexuel dont les deux protagonistes sont victimes sans faire couple. Ce qui compte alors, c’est certes le fait de repérer qu’il a de l’Un, mais surtout de s’y inscrire pour que la suite des Uns tout seuls dessine un ordre permettant au sujet de se compter à partir de ce troumatisme et non de disparaître.

Un deuxième parlêtre est venu s’inscrire pour faire résonner ce thème de l’attentat qui est devenu la façon dont le réel fait irruption dans nos vies à l’échelle planétaire. Ce jeune adulte, longtemps n’a pas voulu grandir, le lien à l’autre sexe, à la mère plutôt se réduisant à celle qu’il choisissait pour faire sa toilette. À côté de cela, on peut dire qu’il était tombé dans le panneau, passant son temps à dessiner des panneaux dans des paysages d’autoroutes déshabitées. Son livre de chevet était alors le code de la route. C’est au moment où ces deux parents prennent leur retraite, qu’il devient adulte et invente tout un roman familial dont les contours et détours se passent fort bien de la grand-route œdipienne. Après un temps de latence au niveau de la création, l’espace étant entièrement occupé par l’efflorescence combinatoire, la floculation des signifiants tout seuls vient à se stabiliser et la création dessine un nouvel espace, ouvert à la nature et à l’expression de la vie. Dès lors séparé de ses parents, qui viennent le chercher tous les vendredis, il attend qu’« Adeline » vienne le chercher, celle qu’il désigne comme sa femme puisqu’il faut bien avoir une femme. Nul besoin de dire que cette attente se déroule dans une tension corporelle extrême que vient seulement tempérer la remise de ses œuvres quotidiennes pour les futures expositions. Adeline se présente ainsi comme le nom d’un attentat qui relève plus de la structure que de l’événement.

Jean-Pierre ROUILLON

Psychanalyste, membre de l'ECF