On doit à la découverte freudienne d’avoir permis de situer la place centrale de la sexualité dans la vie psychique. Tous nos faits et gestes, nos pensées, tout notre mental est gouverné de toujours par l’exigence de satisfaction pulsionnelle. Ceci n’est pas une fiction mais une réalité clinique. Pour autant, assimiler la psychanalyse à un pansexualisme selon lequel rien ne viendrait faire obstacle à une telle nécessité relève du déviationnisme. Le sens sexuel à tire larigot est à l’envers de l’expérience analytique.
Au contraire, la séance analytique est une expérience de parole où se décline au un par un l’impossible du rapport sexuel : je est tout seul dans sa confrontation à vouloir faire un avec le corps de l’autre comme objet de sa propre jouissance.
Depuis que la pratique analytique existe, elle a produit à l’endroit de l’exigence pulsionnelle des effets que nous qualifierons de paradoxaux. Si la levée du refoulement par la libération de la parole peut être salvatrice, par exemple en dénouant un symptôme ou en reconnaissant un fantasme, il n’en demeure pas moins qu’un impossible persiste, devenant toujours plus consistant et réel. Cet impossible s’apparente à un objet. Lacan l’a nommé l’objet petit a, qui n’est pas un objet échangeable, mais un objet tout ce qu’il y a de plus singulier, baroque, tordu, propre au sujet ; un objet logique nécessaire pour la jouissance. À la fois le plus intime et hétérogène : extime.
Cet objet spécial qui s’extrait d’une analyse, c’est l’objet cause du désir, celui qui manque et qui, comme tel, est le moteur de l’élan vital. On ne cesse de courir après lui alors que c’est lui qui nous cause… Nul usage normé ne peut en être prescrit, car il échappe à toute maîtrise. Aussi, il s’agit de repérer et reconnaître dans quelle mesure on y est a-sujetti. Telle est la condition pour opérer un renversement de son usage pour le transformer en objet opératoire et créateur.
Ainsi, cette pratique sous transfert fait l’offre au un par un de parler pour dire l’insupportable. C’est en se cognant à ce réel par la parole que vient à se cerner l’impossible du non rapport sexuel en tant qu’il ne peut s’écrire. Quelque chose perdure qui tient à la structure. Un signifiant s’excepte de la série que constitue tous les autres dans le langage : le signifiant phallique qui exerce sa domination. En cela, il attente sans cesse, cela insiste. L’ordinaire du rapport d’un sujet à ce signifiant, c’est la castration. Tout apparaît dès lors sous le jour de l’attentat signifiant : blessure narcissique. C’est le moi qui est la première victime.
Avec Lacan, la perspective s’articule autour de la considération de l’Autre : de son apogée vers son inexistence, nous pouvons succinctement dégager trois étapes. L’autre imaginaire : attentat au miroir. L’Autre symbolique : attentat langagier. L’Autre réel : le corps parlant. Le réel, c’est l’Autre qui n’existe pas. Le sujet, qui ne tire son existence que de son rapport à l’Autre, est une fiction. Il est pris dans l’articulation signifiante pour rendre compte de quelque chose du trauma, de l’outrage qu’il a subi. L’Autre, c’est d’abord à cela qu’il lui sert. Ainsi trouve-t-il à se protéger de la jouissance.
La clinique de la psychose est à cet égard d’un enseignement sans pareil. N’ayant pas de recours possible à l’Autre symbolique, le psychotique a à se débrouiller sans. Pour lui, le signifiant est réel. Il a affaire à l’attentat du réel signifiant en permanence. Comment s’en débrouille-t-il ? Pas sans le recours à la parole, l’a-parole et l’écriture. Il nous ouvre ainsi la voie de la clinique du corps parlant.
La pratique analytique, qui date de seulement 120 ans, a introduit un changement dans la civilisation. La parole libérée dans le cadre du cabinet s’est propagée dans le monde. Aujourd’hui, cette parole se fait entendre à travers la voix de celles et ceux qui portent la trace indélébile de l’attentat sexuel. Dès lors il paraît légitime de l’accueillir, non pas pour faire cause commune d’un combat contre l’Autre, mais pour mettre à jour la fraternité des uns « épars et désassortis »[1].
Tel est l’un des enjeux des J50.
Références
1 | . Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573. |
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