ÉCHO DU 10 AVRIL 2021 – CONFÉRENCE DE FRANÇOIS ANSERMET

Crédit photo : Anton Maksimov Juvnsky sur Unsplash

« Il n’y a pas d’autre traumatisme de la naissance que de naître comme désiré. Désiré, ou pas – c’est du pareil au même, puisque c’est par le parlêtre. [1]» 

Sous le titre à la fois novateur et énigmatique : L’origine à venir. Vertiges biotechnologiques François Ansermet [2] a déplié de façon enthousiaste et engagée une conférence foisonnante de réflexions cliniques, d’apports théoriques et éthiques.

À l’invitation de l’ACF en Massif central et de sa déléguée régionale, Valentine Dechambre, cette conférence a eu lieu le samedi 10 avril à 14h en visioconférence depuis Genève. Elle a permis à notre invité d’ouvrir le débat sur PIPOL 10 [3], Congrès qui se tiendra les 3 et 4 juillet prochains, il est intitulé : Vouloir un enfant ? Désir de famille et clinique des filiations.

La question de vouloir un enfant n’est pas contemporaine ; en revanche, comment aborder ce thème au XXIe siècle lorsque le monde est désormais régi par le discours de la science et la loi du marché ? Quelle clinique peut s’inventer à partir de l’obstétrique moderne ? Comment faire famille à un moment de mutation de la civilisation sans précédent ?

F. Ansermet a indiqué plusieurs points cruciaux de repérage dans les questions brûlantes de la différence des sexes, des générations et du vertige biotechnologique, issu des avancées de la science qui permet d’aller du thérapeutique au prédictif.

Le présent est-il l’équivalent du contemporain ? Que peut-on saisir de l’actuel ? Autant de questions qui articulent l’origine et le temps, questions éthiques, historiques et philosophiques.

F. Ansermet a rappelé que les nouveaux modes de procréation, bien qu’ils soient inscrits dans notre époque contemporaine, ne sont pas si nouveaux ; la « procréation divinement assistée » s’illustre dans les textes sacrés, comme dans la mythologie. Par contre, aujourd’hui, loin d’éviter les questions spirituelles de son époque, le psychanalyste se trouve face à une perplexité à soutenir, devant le vertige et l’angoisse du dévoilement du réel qu’impliquent les progrès en biotechnologies. Entre technoprophète et technophobe, l’enjeu pour le psychanalyste est de ne pas reculer devant les vertiges de l’origine, de la différence des sexes et de la prédiction.

Dans le registre de l’angoisse, F. Ansermet prend appui sur la dernière leçon du Séminaire « Dissolution ! », pour évoquer une version lacanienne de l’origine : « Tous autant que vous êtes, qu’êtes-vous d’autre que des malentendus ? […] De traumatisme, il n’y en a pas d’autre : L’homme naît malentendu [4]». En effet, la question de la procréation est ce qui est le plus irreprésentable. On ne sait pas quand ça se passe, c’est insaisissable. Freud, déjà, interrogeait : d’où viennent les enfants ? Qu’est-ce qu’un père et que veut une femme ? La question de l’origine, de la procréation se révèle donc aussi irreprésentable que la mort. F. Ansermet nous indique que ce point de butée, ce réel produit du fantasme. Alors, les outils indiqués pour saisir la PMA sont l’articulation entre le réel, la jouissance et l’objet a, concepts du dernier temps de l’enseignement de J. Lacan. Face à l’impossible, à l’irreprésentable de la procréation, de l’origine, et même de la mort dans la procréation, la psychanalyse pointe la logique, le logos comme marquant les êtres parlants. F. Ansermet cite J. Lacan : « votre corps est le fruit d’une lignée dont une bonne part de vos malheurs tient à ce que déjà elle nageait dans le malentendu tant qu’elle pouvait. Elle nageait pour la simple raison qu’elle parlêtrait à qui mieux-mieux [5]».

Toute procréation se situe à l’interface de la différence des sexes et des générations. Aujourd’hui, au-delà de la différence des sexes et du genre – binaire, trans, asexué, homme seul ou femme seule, couple d’hommes ou de femmes – qui articule le plus intime au politique et au collectif, il est question du désir particulier de chacun dans son rapport au sexe et à la procréation (à venir ou passée).

Le conférencier a amené la fin de son intervention sur le débat du diagnostic préconceptionnel. Au-delà du thérapeutique, comment la procréation se noue-t-elle avec le patrimoine génétique pour médicaliser, technologiser la procréation, avec comme ligne de mire : l’enfant parfait ?

Cependant, au-delà de ce que les avancées de la science proposent, imposent parfois, il reste à chacun la responsabilité de ne pas faire de ses origines un destin. L’invention de chaque enfant à partir de ses origines, toujours issue d’un malentendu, est ce qui va pouvoir ouvrir un espace où il a chance d’une réponse inédite et singulière.

Réintroduire la dimension de la contingence permet alors aux parlêtres que nous sommes tous, d’aller à l’encontre du déjà-là, de l’attendu en faisant de la génétique une production de la différence.

Références

Références
1 Lacan J., Le Séminaire, « Dissolution ! », leçon du 10 juin 1980, titrée « Le malentendu » par J.-A. Miller, Ornicar ?, n° 22-23, Seuil, 1981, p. 13.
2 Ansermet F., psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP, médecin chef en pédopsychiatrie à Lausanne, membre du Comité consultatif National d’Éthique (CCNE).
3 Congrès PIPOL 10 : https://www.pipol10.eu
4 Lacan J., Le Séminaire, « Dissolution ! », op. cit., p. 12.
5 Ibid.

Nadège Talbot