« Contrer l’universel avec L’étourdit »

Contrer l’universel – « L’étourdit » de Lacan à la lettre

Philippe la Sagna et Rodolphe Adam  [1] ont choisi d’adopter le style du D.E.A. [2] de Jacques-Alain Miller pour une lecture ligne à ligne du texte de Lacan, L’étourdit [3].

Contrer l’universel [4] est le fruit de ce travail de lecture, soit environ trois années (2010-2013) à Bordeaux puis rue Huysmans à Paris en 2016. Une petite communauté de recherche s’est cristallisée autour d’un Séminaire d’Étude par un transfert au texte de Lacan. « Ce n’[est] pas un travail collectif, [ni] un choix du multiple [5]». S’engageant dans ce travail de lecture, chacun y est venu au un par un.

Pour R. Adam, L’étourdit a été un choc. Le désir de faire trace de cette rencontre qui a fait trou dans le savoir l’a conduit à établir le texte de ce qui a pu s’énoncer au cours du Séminaire. Il en résulte un ouvrage précieux, extrêmement précis qui nous accompagne dans la complexité extrême, énigmatique de L’étourdit ; il nous permet de saisir l’étonnant renversement de perspective qu’amorce Lacan à ce moment là dans son enseignement.

« C’est de la logique que [le discours analytique] touche au réel [6]» indique Lacan dès de début de son texte. « Il se détourne pour une part de la structure du langage, de la linguistique, pour s’attacher à la structure du discours et à la logique. [7]» On passe de l’idée que la psychanalyse est une affaire de parole, de vérité, de dit, à la psychanalyse qui touche au réel par le dire. « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. [8]» L’important c’est le dire où ce n’est pas ce qu’on dit mais ce qu’on ne dit pas. C’est tout l’enjeu du transfert et du travail clinique avec ceux qui ne sont pas dans le dit souligne Ph. La Sagna [9].

Le style de Lacan semble incarner son objet même. Les mots se désagrègent pour mieux faire résonner l’ab-sens [10]. Il décline la motérialité du signifiant sur tous les registres de l’homophonie, de l’équivoque et de la grammaire pour tendre à rendre présent le réel en jeu.

L’étourdit, c’est aussi « Un peu de topologie [11]» comme l’annonce Lacan. Il inspire le choix de couverture de Contrer l’universel. À l’origine, il y a l’idée de Dominique Gentes [12] qui a enthousiasmé tout le monde en proposant une maquette du Léviathan d’Anish Kapoor. Cette œuvre hors norme présentée au Grand Palais pour la Monumenta 2011 entre parfaitement en résonnance avec le propos de Lacan par sa structure topologique trouée.

Le mot clé pour lire L’étourdit indique Ph. La Sagna ce n’est pas tant la considération du signifiant articulé que la coupure, celle qui s’opère sur le tore et la bande de Moebius en tant que structure topologique. L’interprétation analytique n’est-ce pas ce qui fait coupure ? N’y a-t-il pas là quelque chose d’essentiel pour la conduite des cures orientées par le réel ?

Lacan nous invite à relire l’Œdipe avec Totem et tabou. Le père originaire supposé jouir de toutes les femmes, sert à interroger les notions de tout et d’universel : « Il n’y a pas d’universelle qui ne doive se contenir d’une existence qui la nie [13]». À la question de savoir quel universel il s’agit de contrer, R. Adam fait le commentaire suivant : « Contrer l’universel revient à saisir dans cette touthommie la ségrégation d’un dire masculin qui veut pourtouter ce qui est Autre, l’hétéros, le féminin notamment. La clef géniale de Lacan […] est que l’universel ne l’est jamais vraiment puisqu’il se fonde d’une clôture avec ce qu’il rejette [14]».

Qu’est-ce que la logique de l’Hétéros et du pas-tout ? N’est-ce pas déjà la considération du un par un et de la singularité ?

Au milieu des débats sur le phallicisme de Freud, débats dans lesquels nous sommes encore aujourd’hui, la subversion qu’introduit Lacan c’est de démontrer que la sexualité est avant tout une affaire de logique. Il fait du phallus une fonction qui ne se base pas sur l’anatomie. En logique, il n’y a pas de rapport sexuel chez l’être parlant. Cet apport fondamental de Lacan permet de s’orienter non de la multiplicité des identités sexuelles mais d’une logique de la sexuation.

L’étourdit est un texte inouï où Lacan essaie de fonder avec rigueur le lien de la psychanalyse avec le réel en interrogeant la logique depuis les mathématiques. C’est ce que l’ouvrage Contrer l’universel nous fait toucher du doigt dans le menu détail.

Références

Références
1 Rodolphe Adam et Philippe La Sagna sont membres de l’ECF et de l’AMP.
2 Diplôme d’Études Approfondies.
3 Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.
4 La Sagna Ph., Adam R., Contrer l’universel – « L’étourdit » de Lacan à la lettre, Paris, Éditions Michèle, 2020.
5 La Sagna Ph., « Entretien avec Philippe La Sagna et Rodolphe Adam », La Cause du désir, n°107, mars 2021, p. 90.
6 Lacan J., « L’étourdit », op.cit., p. 449.
7 La Sagna Ph., Adam R., Contrer l’universel – « L’étourdit » de Lacan à la lettre, op.cit., p. 16.
8 Lacan J., « L’étourdit », op.cit., p. 449.
9 Conversation croisée autour du thème, « Contrer l’universel, une clinique du réel », soirée du 11 février 2021, organisée par l’équipe de la librairie de l’ECF.
10 Adam R., « Entretien avec Philippe La Sagna et Rodolphe Adam », op.cit., p. 91.
11 Lacan J., « L’étourdit », op.cit., p. 469.
12 Adam R., « Entretien avec Philippe La Sagna et Rodolphe Adam », op.cit., p. 88.
13 Lacan J., « L’étourdit », op.cit., p. 451.
14 Adam R., « Entretien avec Philippe La Sagna et Rodolphe Adam », op.cit, p. 90.

Nicole Oudjane