Extrait du Séminaire XV L’Acte psychanalytique

© Aurélie Boissinot

Télécharger l’article en pdf

Ce passage du Séminaire de Jacques Lacan, L’Acte psychanalytique, est un extrait de la partie, « Propos », chapitre XVI, « L’année se termine», intitulé ainsi par Jacques-Alain Miller qui a établi le texte du Séminaire. Cette partie sera présentée lors de la soirée d’étude du 19 mai 2025, sous la responsabilité de Jean-Robert Rabanel.

      « Il peut rester un regret qu’après avoir ouvert un concept comme celui de l’acte psychanalytique, le sort ait voulu que vous n’ayez pu apprendre sur ce sujet que la moitié de ce que j’avais l’intention d’en dire – la moitié… à vrai dire un peu moins, parce que la procédure d’entrée, pour quelque chose d’aussi nouveau, jamais articulé comme dimension, ça a demandé en effet quelque temps d’ouverture.

      Les choses, pour tout dire, ne conservent pas la même vitesse. C’est plutôt quelque chose qui ressort à ce qui se passe quand un corps choit, est soumis à la même force. Au cours de sa chute, son mouvement, comme on dit, s’accélère, de sorte que vous n’aurez pas eu du tout la moitié de ce qu’il y avait à dire sur l’acte psychanalytique. Disons que vous en aurez eu un petit peu moins du quart.

      C’est bien regrettable par certains côtés, car il n’est pas dans mes us de terminer    plus tard, et en quelque sorte par raccroc, ce qui se trouve avoir été interrompu d’une façon quelconque, quelle qu’en soit la cause, interne ou externe.

      Mais à vrai dire, par un autre côté, mon regret n’est pas sans s’accompagner de quelque satisfaction, car enfin, dans ce cas-là, le discours n’a pas été interrompu par n’importe quoi. De l’avoir été par quelque chose qui met en jeu, certainement à un niveau très bébé, mais qui met en jeu quand même quelque dimension qui n’est pas tout à fait sans rapport avec l’acte, eh bien, mon Dieu, ce n’est pas tellement insatisfaisant.

      Évidemment, il y a une petite discordance dans tout cela. L’Acte psychanalytique, cette dissertation que je projetais, était forgé pour les psychanalystes, comme on dit, mûris par l’expérience. Elle était destinée avant tout à leur permettre, et du même coup à permettre aux autres, une plus juste estime du poids qu’ils ont à soulever, quand quelque chose marque une dimension de paradoxe, d’antinomie interne, de profonde contradiction, qui n’est pas sans permettre de concevoir la difficulté que représente pour eux d’en soutenir la charge. Or, il faut bien le dire, ce ne sont pas ceux qui, cette charge, la connaissent le mieux dans la pratique, qui ont marqué pour ce que je disais le plus vif intérêt. À un certain niveau, je dois dire qu’ils se sont vraiment distingués par une absence qui n’était certes point due au hasard.

      Puisqu’on y est, je vous raconterai incidemment une petite anecdote à laquelle j’ai déjà fait allusion, mais je vais tout à fait l’éclairer. Une de ces personnes à qui j’envoyais galamment un poulet pour lui demander si cette absence était un acte, m’a répondu — Qu’allez-vous penser ! Que nenni ! Ni un acte, ni un acte manqué. Il se trouve que cette année, j’ai pris à onze heures et demie rendez-vous pour un long travail – il s’agissait de se refaire faire la denture – avec le praticien adéquat, à onze heures et demie tous les mercredis. Ce n’est pas un acte, comme vous voyez, c’est une pure rencontre. Ceci tempère pour moi le regret que quelque chose puisse rester en suspens dans ce que j’ai à transmettre à la communauté psychanalytique, et tout à fait spécialement à celle qui s’intitule du titre de mon École.

      Par contre, il s’est trouvé quelque chose que les bébés ont relevé un beau jour du titre d’acte, une certaine dimension de l’acte qui a, elle aussi, son ambiguïté, et qui n’est pas forcément faite d’actes manqués, malgré qu’elle pourrait bien, dans les années qui vont suivre, donner du fil à retordre à ceux qui aimeraient penser les choses dans les termes traditionnels de la politique. Si j’ai voulu vous adresser quelques mots aujourd’hui, c’est que la question est justement de savoir si j’ai raison de trouver là comme une petite balance ou compensation, et de me sentir, en quelque sorte, un tout petit peu allégé de ma propre charge[1]. »


[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XV, L’Acte psychanalytique, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil / Le Champ freudien, 2024, p. 283-284-285.

Jacques Lacan