Extrait du Séminaire XV L’Acte psychanalytique

© Aurélie Boissinot

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Ce passage du Séminaire de Jacques Lacan, L’Acte psychanalytique, est un extrait du chapitre IX, « Mise en question du sujet supposé savoir », intitulé ainsi par Jacques-Alain Miller qui a établi le texte du Séminaire. Cette partie sera présentée lors de la soirée d’étude du 17 mars 2025, sous la responsabilité de Jean-Robert Rabanel.

N’oublions pas les premiers pas que nous avons faits autour de l’explication de l’acte psychanalytique, à savoir qu’il est essentiellement comme s’inscrivant dans un effet de langage.
Nous avons pu nous apercevoir à cette occasion, ou tout au moins simplement rappeler, qu’il en est ainsi pour tout acte. Ce n’est donc pas là ce qui le spécifie.
Comment s’ordonne l’effet de langage en question ? Il est à deux étages. Il suppose la psychanalyse elle-même comme effet de langage. En d’autres termes, il n’est définissable au minimum qu’à inclure l’acte psychanalytique comme étant défini par l’accomplissement de la psychanalyse elle-même.
Nous avons montré qu’il nous faut ici redoubler la division, c’est à savoir que la psychanalyse ne saurait s’instaurer sans un acte, sans l’acte de celui qui en autorise la possibilité, sans l’acte du psychanalyste, et que la tâche psychanalysante s’inscrit à l’intérieur de cet acte. J’ai déjà fait apparaître cette première structure d’enveloppement.
Mais ce dont il s’agit – et ce n’est pas la première fois que j’insiste sur cette distinction au sein même de l’acte – c’est que c’est aussi l’acte par quoi un sujet donne à cet acte singulier sa conséquence la plus étrange, en devenant lui-même celui qui l’institue, autrement dit, il se pose comme psychanalyste. Or, ceci ne se passe pas sans devoir retenir notre attention.
Ce dont il s’agit, en effet, c’est que cette position, il la prenne, que cet acte, il le répète, qu’il s’en fasse le tenant, tout en sachant fort bien ce qu’il en est de la suite, tout en en connaissant l’aboutissant – à savoir que, à se mettre à la place qui est celle de l’analyste, il en viendra enfin à être, sous la forme du a, cet objet rejeté, cet objet où se spécifie tout le mouvement de la psychanalyse, et qui, à la fin, vient à la place du psychanalyste, pour autant qu’ici le sujet décisivement se sépare, se reconnaît pour être causé par l’objet en question. Causé en quoi ? Causé dans sa division de sujet, à savoir pour autant qu’à la fin de la psychanalyse, il reste marqué de cette béance qui est la sienne, et qui se définit dans la psychanalyse par la forme de castration.
Voilà tout au moins résumé et commenté le schéma que j’ai donné de ce qu’il en est du résultat, de l’effet de la psychanalyse. Je vous en ai représenté au tableau le double mouvement, marqué dans cette ligne par le transfert et par ce qui s’appelle la castration. Il débouche à la fin sur la disjonction du (-φ) et du a.
Voilà ce qui se passe au terme. Il y a le psychanalyste, de par l’opération du psychanalysant – opération qu’il a autorisée sachant quel est son terme, et opération dont il s’institue lui-même, et dont il est l’aboutissant, malgré, si l’on peut dire, le savoir qu’il a de ce qu’il en est de ce terme.
L’ouverture reste ici béante de comment peut s’opérer ce saut. Dans un texte, qui était un texte de proposition[1], j’ai exploré ce qu’il en est de ce saut, que j’ai appelé la passe. Jusqu’à ce que nous y ayons vu de plus près, il n’y a rien de plus à en dire, sinon qu’il est très précisément ce saut, car on peut dire que, dans l’ordination de la psychanalyse, tout est fait pour dissimuler que c’est un saut. À l’occasion, on en fera bien un saut, mais à condition que, sur ce qu’il y a à franchir, il y ait une espèce de couverture tendue qui permette de ne pas voir que c’est un saut. C’est encore le meilleur cas, car c’est tout de même mieux que de mettre une petite passerelle, ce qui est bien commode, mais n’en fait plus du tout un saut.
Mais tant que la chose n’aura pas été effectivement interrogée, mise en question dans l’analyse – et pourquoi différer de dire que ma thèse est que toute l’ordination de ce qui se fait et existe dans la psychanalyse est faite pour que cette interrogation et cette exploration n’aient pas lieu ? –, nous ne pouvons pas en dire quoi que ce soit de plus que ce qu’il se dit nulle part, parce qu’à la vérité, il est impossible d’en parler tout seul[2].


[1] Voir la note de Jacques-Alain Miller à propos du « texte de proposition » : « C’est évidemment la “Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École”, que l’on trouve publiée dans le recueil des Autres écrits, p.243-281. »
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XV, L’Acte psychanalytique, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil / Le Champ freudien, 2024, p. 161-162-163.

Jacques Lacan