Rêve et Trauma

À propos du rêve, je souhaiterais aborder un point qui m’a été inspiré par la clinique, celui du trauma dans le rêve, celui qui réveille. Avec pour boussole l’enseignement de Freud et Lacan, deux versants se dessinent : le versant du rêve, « voie royale de la connaissance de l’inconscient »[1] ; c’est le rêve comme vérité de l’inconscient, celui qui s’interprète ; et sur un autre versant, le rêve générateur d’angoisse quand surgit à l’occasion la jouissance pulsionnelle qui fait trauma. C’est le versant de réel de l’inconscient.

Le réel s’est présenté dans l’expérience analytique sous la forme du trauma.

À l’écoute des récits de ses patientes hystériques, Freud suppose l’existence d’une cause sexuelle, une expérience de séduction précoce qui marque le sujet de façon indélébile sans pour autant qu’il puisse en dire quelque chose. Le premier temps serait celui d’une première rencontre énigmatique celle d’un incident qui n’a pas de sens. Ce n’est qu’en second lieu, pas à la même époque, que le sujet peut en dire quelque chose et que la marque de l’excitation pulsionnelle prend sens pour le sujet. Ainsi le trauma ne prend valeur de trauma que dans l’après coup.

Pourquoi le trauma insiste ? C’est la véritable préoccupation de Freud à partir de nombreux cas de rêves traumatiques chez les névrosés de guerre. Comment se fait-il que le rêve, gardien du sommeil du sujet, puisse produire ce qui fait ressurgir le trauma à répétition ? Freud pose l’hypothèse d’une « compulsion de répétition » liée à une fixation de jouissance et reconsidère sa première topique en donnant toute son importance au surmoi comme un des noms de l’inconscient.

La rencontre du réel

Au cœur de la structure langagière de l’inconscient, il y a la « béance causale »[2]. Qu’est-ce que Lacan indique ? Cela signifie que le sujet n’a pas accès au « noyau du réel » traumatique. La rencontre du réel est une rencontre manquée. Entre cause et effet, il y a l’interposition du refoulement conçu par Freud comme refoulement originaire. Lacan y substitue la métaphore primordiale de l’inconscient. C’est ce qui fait la « discontinuité inaugurale de l’inconscient » où avec le langage, il y a ratage, non rapport.

Qu’est-ce à dire de la répétition ? Ce qui pousse à la répétition, c’est le noyau traumatique pour autant que ce noyau reste impossible à résorber par l’opération du refoulement, qu’il est « inassimilable ». Cette marque première du réel de la jouissance alimente la répétition. Elle « gît toujours derrière l’automaton »[3].

La rencontre traumatique dans le rêve est une effraction qui se produit à l’insu du sujet. Elle est du côté du « réveil »[4]. Dans le rêve paradigmatique de Freud[5], Père, ne vois-tu pas que je brûle, dont Lacan dégage la structure, qu’est-ce qui réveille le père ? Ce n’est pas seulement le bruit du cierge renversé en train de mettre le feu au lit de l’enfant. Le cauchemar qui réveille le père ce n’est pas l’accident mais un réel qui s’y dévoile : « Le réel peut se représenter par l’accident, le petit bruit, le peu de réalité qui témoigne que nous ne rêvons pas »[6] mais c’est « au moyen de cette réalité »[7]. L’impact du trauma a la nécessité de se faire représenter par des signifiants contingents mais non pas « arbitraires ».

En somme, le trauma est tamponné par le rêve qui a cette fonction de voile, d’écran du réel. Surgit une « autre réalité » qui réveille, celle où le réel pulsionnel se loge dans cette phrase de l’enfant mort par la voix qui murmure sur un ton de reproche, « Père, ne vois-tu pas… ».

Rien n’est que rêve et tout le monde délire

Dans son tout dernier enseignement, Lacan part du réel, un réel sans loi, séparé du symbolique et de l’imaginaire. Il fait valoir l’incidence traumatique de lalangue, d’avant la structure de langage. Ce signifiant tout seul, énigmatique (S1) qui ne s’enchaine pas à un autre, fait évènement de jouissance. Comment sortir du traumatisme de lalangue ? Pour chacun, il y a nécessité de s’en défendre. Certains sont pris dans un nouage prêt-à-porter qui s’appelle le Nom-du-Père, d’autres doivent l’inventer de toutes pièces pour se bricoler une tenue dans l’existence[8].

Dans un court texte intitulé, « Lacan pour Vincennes ! », Lacan en vient à dire : « Rien n’est que rêve, et tout le monde est fou c’est à dire délirant[9] ». Un délire c’est une invention de sens. Freud, déjà, n’a-t-il pas considéré le rêve comme une forme de délire en tant qu’articulation signifiante sans référence[10] ?

Jacques-Alain Miller tire les conséquences logiques de cette assertion de Lacan où, à la clinique différentielle des psychoses, il propose, pour son fondement, une clinique universelle du délire[11] : tous délirants. Dès lors, il ne s’agit plus de s’arrêter aux clivages entre fantasmes, délire, hallucination et rêve[12]

Un patient vient consulter un psychanalyste pour des angoisses. À la veille du départ à la retraite, l’arrêt de l’exercice de sa profession a un effet de soulagement. Il se débarrasse de tout ce qui lui permettrait d’en prolonger l’exercice. Il vient déposer plusieurs « rêves » qui ne sont pas pour autant à interpréter. Il évoque son enfance par le biais de cauchemars. Pour l’un d’eux, il s’agit d’une punition aux coups répétés sur le corps par un Autre cruel. Ce rêve porte la marque de l’Autre méchant. Il offre un imaginaire où un signifiant de jouissance (S1) s’articule au signifiant du délire (S2) pour un effet de signification. À partir d’un pur signifiant de jouissance, qu’il fait résonner, ce patient invente un Autre dont il est le jouet. N’est-ce pas un certain usage de la matérialité sonore de lalangue ?

Références

Références
1 Freud S., Cinq leçons sur la psychanalyse, “Troisième leçon”, (1909), Paris, Éditions Payot & Rivages, Coll. Petite Bibliothèque Payot, 2001, p. 45.
2 Lacan J., Le Séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 47.
3 Ibid, p. 54.
4 Ibid, p. 55.
5 Freud S., L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1967, p. 433.
6 Ibid, p.59.
7 Lacan J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 57.
8 Deffieux J.-P., « Tout le monde délire », L’Hebdo-Blog, n°24, 18 mai 2020.
9 Lacan J., « Lacan pour Vincennes ! », Ornicar ? n°17-18, 1979, p. 278.
10 Miller J.-A., « Clinique ironique », La Cause freudienne, n°23, Paris, Diffusion Navarin-Seuil, 1993, p. 10.
11 Ibid.
12 Miller J.-A., « Réveil », Ornicar ? n°20-21, p. 52.

Nicole Oudjane