Présentation du cartel Entendre l’énigme du vivant
Le cartel, organe de l’École de la Cause freudienne, est un dispositif qui met en fonction le collectif pour permettre à chaque une et chaque un de produire et adresser un travail fondé sur sa question de départ.
Il arrive que la question de l’une ou de l’un rejoigne et s’articule à la question de l’autre. Tel ce cartel, contraint à fonctionner par visioconférence, où s’est dessiné un trajet partant de la notion de sujet vers celle de parlêtre avant de parvenir à celle de corps parlant.
Monique Hermant a interrogé cette notion à partir du texte de Jacques Lacan L’étourdit [1] en l’éclairant par l’ouvrage récent de Philippe La Sagna et Rodolphe Adam Contrer l’universel [2]. Il s’agit d’une lecture à la lettre des propositions de Lacan, en particulier sur l’interprétation, dont il dit qu’il faut qu’elle fasse par-être [3], soit qu’elle procède d’un dire. En situant l’universel face au singulier,elle a pu détacher un titre pour son travail : « Qu’est-ce qu’une clinique orientée par le réel ? ».
C’est à partir de la question de Dominique Legrand : « Qu’est-ce qu’avoir un corps ? », et en choisissant de s’appuyer sur le cours de Jacques-Alain Miller Pièces détachées [4], que s’est peu à peu imposée l’étude du vivant.
La piste commençait donc à se resserrer autour de perspectives nouées : le corps – la jouissance – la vie.
Comme le cartel est fondé sur l’échange, la parole y prend toute sa place, faite de croisements, d’achoppements et de fantaisies. S’en dégage parfois une certaine logique.
Ainsi, l’aphorisme lacanien : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend [5]» nous a conduit vers l’établissement de la logique des propositions telle que Gottlob Frege et Bertrand Russel en ont forgé les bases. L’importance du ce qui s’entend insistait alors pour apparaître, se formuler, se déplier.
Nelly Lemoine l’a entendu au point d’en faire son sujet d’étude, en choisissant ce titre qui coupe et résonne comme une devise : « Entendre la répétition ». Elle a choisi d’étudier au mot à mot, à l’aide de deux traductions un peu distinctes, l’article fondamental de Sigmund Freud portant sur Le problème économique du masochisme [6]. En effet,on y découvre comment le phénomène de la vie doit d’emblée, pour se maintenir, emprunter un ensemble de dérives propres au mécanisme pulsionnel. J. Lacan reprendra ce trajet de la pulsion en le faisant équivaloir à une stricte dérive en circuit, indice d’une satisfaction singulière.
Peu à peu, en partant du statut primitif du corps et en allant vers le corps parlant, il nous a fallu considérer le rapport étroit que le signifiant entretient avec la jouissance elle-même. Mais entendre ce qui se jouit permet-il d’isoler ce qu’est cette jouissance ? Faut-il la localiser à partir des parties de corps, ces pièces détachées ? En somme, comme le rappelle J.-A. Miller « Nous ne savons pas ce que c’est que d’être vivant, si ce n’est qu’un corps, ça se jouit [7]».
Un sujet jouit-il sous l’appareillage signifiant ? Un parlêtre, par cet appareillage, donne-t-il ainsi à chaque organe une fonction ? Lui donner un sens, est-ce en convoquer la jouis-sens ?
En premier lieu, de cet appareillage-là, se détache le signifiant nommé phallus : il passe de son statut d’organe à sa valeur d’image pour entrer en fonction comme signifiant.
Pour autant, l’être du parlêtre reste une énigme. Cette insondable part de jouissance est une inconnue, et cette inconnue est la vie elle-même, rivée à cette insondable décision d’être.
C’est donc par la logique de l’objet a, celle du trou, du manque, qu’il a fallu reprendre, étape par étape, en suivant le fil opératoire majeur du signifiant phallus.
Jérôme Moissinac en a fait le sujet de son travail : « La signification du phallus [8]». Le texte de J. Lacan nous permettra-t-il d’étudier précisément la fonction de la castration ? De quel opérateur s’agit-il ? Vient-elle à la place d’un objet qu’il n’y a pas ? C’est en reprenant les tableaux du Séminaire IV La relation d’objet, qu’a pu être repéré le mécanisme central de la frustration. Le phallus, comme signifiant du désir, relève-t-il alors de l’universel ou du singulier ?
J’en ai extrait mon propre sujet de cartel sous le titre : « Universel ou singulier : le phallus en question ». Le cartel procède de ce double principe actif, d’être à la fois un lien sans détour à l’École et un lieu sans atours où se démontre que certains accents de l’angoisse peuvent trouver à se traiter par un gain de savoir. Pour cela, il faut à celle ou celui qui y engage son désir, le gage supplémentaire de la confiance. Ce qu’articule la plus-une fonction.
En appui sur ce dispositif de l’École, J. Moissinac a présenté le produit de son travail dans ce cartel Entendre l’énigme du vivant. Sensible à l’actualité de notre monde, son texte invite à une réflexion sur les raisons que certains hommes, bien encombrés du phallus, réservent aux femmes. Le surgissement des guerres ne dévoilerait-il pas davantage encore ce que leur provoque l’horreur de la castration ?… Voire celle du vivant ?
Son intervention portait ce titre étonnant : « La femme est-elle un homme comme les autres ? »
Références
1 | Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449-495. |
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2 | La Sagna P., Adam R., Contrer l’universel, « L’étourdit» de Lacan à la lettre, Paris, Éditions Michèle, 2021. |
3 | Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, texte établi par J.-A Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 44. |
4 | Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Pièces détachées », enseignement prononcé dans le cadre du département de l’université Paris 8, inédit. |
5 | Lacan J., « L’étourdit », op. cit., p. 449. |
6 | Freud S., « Le problème économique du masochisme », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1985, p. 287-297. |
7 | Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Pièces détachées », op. cit. |
8 | Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, Paris, Seuil, 1958, p. 685. |