Vers la 7e Journée de l’Institut de l’Enfant – « L’enfant trop »

Yashoda Chastises Her Foster Son, the Youthful Krishna, 16e siècle, artiste anonyme.

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Ce texte a été établi à partir d’une intervention « Les hyper…pénibles », effectuée le 9 novembre 2022 dans le cadre de l’atelier de lecture de l’antenne d’Aurillac de l’ACF en MC.

Faire valoir une clinique orientée par le singulier dans nos institutions est essentiel pour opposer à l’hégémonie d’une causalité neurobiologique, la causalité psychique de la constitution subjective. L’enjeu actuel est de démonter les arguments amenés par la science qui prône un « tout neuro », nommé par Jacques-Alain Miller « neuro-réel [1]» qui viendrait rendre compte du fonctionnement de l’homme, un homme purement neuronal.

Après avoir présenté la distinction entre le particulier et le singulier à partir du champ conceptuel de l’un et de l’universel, nous avons démontré que derrière l’universel « Tout est neuro » se cache une philosophie existentielle, celle du déni de l’inconscient véhiculé par le discours de la science. Ce point d’énonciation obscur qui dénie ce qui n’est pas neuro s’exclut lui-même de l’universel pour mieux en jouir. C’est là que réside l’essentiel, la jouissance de celui qui parle et qui reste hors énoncé.

La logique psychanalytique se soutient de cette exception. Une exception qui nie l’universel du point où elle se perçoit, celui de la jouissance du sujet qui ne se dit dans aucun énoncé, mais que le discours analytique prend en compte dans la singularité du sujet. 

En quoi cette prise en compte du singulier diffère de celle du particulier ? Ce qui diffère dans l’approche que nous pouvons en avoir, c’est la réponse que nous donnons aux modes de jouir du sujet, de son rapport au réel. En saisissant uniquement le particulier, nous sommes sur une pente, celle de la norme comportementale et de la mesure qui construisent les classes sociales et produisent des phénomènes d’exclusion. La psychanalyse ne se centre pas sur cet idéal de conduite qui concentre toutes les attentions, mais sur la dimension singulière de l’acte du sujet au prise avec la langue.

Ce sont les inventions originales du sujet pour traduire la manière dont la langue percute son corps qui témoignent du plus singulier du parlêtre. Elles fondent son style de vie. Le psychanalyste interroge ce nouage du corps et de la langue en visant le dérangement – voire la séparation – de la part de jouissance attachée à ce qui identifie le sujet, à ce qui le nomme et non à un renforcement de cette identité. Il y a donc un intérêt clinique à interpeller le sujet dans ce qui l’identifie et qu’il vient incarner pour l’Autre.

Le cas des enfants remuants, les hypers pénibles, est assez paradigmatique des effets de signifiantisation pour le sujet. Bouger, remuer est fondamental pour l’enfant et la part subjective dans sa manière d’avoir un corps y est essentielle. Il n’y faut pas simplement la capacité physique liée à son développement, avec ses lois neurophysiologiques, il y faut aussi son consentement.

Cependant, c’est de l’Autre que viennent les modalités du bouger de l’enfant. Une mère qui, à l’occasion, incarne cet Autre fait des merveilles pour soutenir de son désir son enfant dans ses acquisitions. Mais quand l’Autre, le désir de l’Autre, se fait par trop surmoïque, ou encore à l’opposé se fait évanescent laissant le sujet jouir sans entrave, rien ne va plus. La jouissance envahit le corps, la pensée, le rapport au savoir. Les parents qui espéraient, avec impatience, voir leur enfant marcher, voilà que d’un coup c’est trop ! Ça déborde.

Si ce n’est pas les parents, alors c’est l’école qui signale que ça ne va pas. La plainte vient de l’Autre social. Elle témoigne d’un insupportable par rapport à une normalisation des comportements que la société véhicule à travers certaines images. Cette plainte prend la forme de « trop de » qui s’énonce : « il n’arrête pas, c’est une tornade, il grimpe partout, il est infernal, il ravage tout… »

Ainsi « l’enfant trop » est prêt pour être nommé au regard du catalogue des symptômes, sans aucune interrogation sur le pourquoi de ce trop. Car pourquoi donc s’interroger sur ce qui agite l’enfant puisque le paradigme général actuel réduit le comportement de l’enfant à un déterminisme neurobiologique ?

L’hyperactivité et les troubles de l’attention sont réduits à un dysfonctionnement neuro. Le corps, corps machine est réduit à sa fonctionnalité. L’enfant trop bascule rapidement du côté du « en trop » de l’exclusion et une solution est vite élaborée. Test en main et diagnostic en poche, une neuro-psycho éducation fera l’affaire. On peut y associer le médicament dès que l’enfant a six ans, parfois même avant. Et cela fonctionne… jusqu’à un certain point. Car ce qui s’écrit dans le corps de l’enfant qui s’agite c’est la façon dont, pour lui, le signifiant s’acoquine avec la jouissance.

Cette prise du signifiant sur le corps du sujet se traduit par un mode d’être qui témoigne d’une interrogation adressée au monde dans lequel il est accueilli : la famille, les lieux de garde puis l’école : Que dois- je céder de ma propre jouissance pour accéder au désir, désir qui est désir de l’Autre ?

Ces enfants qui nous arrivent avec une étiquette diagnostic et un traitement médicamenteux ont besoin d’être entendu et soulager du poids de ces signifiants qui les nomment. Ça ne veut pas dire qu’on ne tienne pas compte des manifestations symptomatiques et de leurs conséquences sociales, mais prenons le temps d’interroger avec eux ces mots qui les enferment pour qu’ils puissent éventuellement s’en décaler.

Deux vignettes cliniques ont permis d’illustrer notre propos.

Références

Références
1 Miller J.-A., « Neuro, le nouveau réel », La Cause du Désir, no 98, mars 2018, p. 117.

Dominique Legrand