Vers la 7e Journée de l’Institut de l’Enfant – « L’enfant dit hyperactif et l’angoisse »

Romney G., The gower family, 1777.

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J’ai eu l’occasion de rencontrer des enfants dits » « perturbateurs », des enfants dits « hyperactifs », dits « TDAH ».

À chaque fois, au-delà des manifestations corporelles et des difficultés comportementales et relationnelles, j’ai pu noter une dimension trop peu évoquée dans les observations médicales, scolaires ou environnementales. Chaque sujet-enfant me semblait aux prises avec une forme d’angoisse des plus ravageuses. Dans l’espace transférentiel, je notais à chaque rencontre la permanence ou la montée d’un affect sans nom, sans objet apparent, sans cause visible de déclenchement. La tension se traduisait souvent par une rupture, une explosion actée dans le corps et le comportement. Agitation motrice désordonnée voire violente était la manifestation du débordement.

Pour accepter cette hypothèse, à savoir que l’enfant dit hyperactif est avant tout aux prises avec l’angoisse, revenons à ce que Lacan élabore sur cette question.

Si pour Freud, l’angoisse est un affect dont la fonction est d’être un signal, pour Lacan l’angoisse est un affect qui saisit le sujet quand il est confronté au désir de l’Autre.

Plus en avant encore, l’angoisse n’est pas à référer à la question de la perte, du manque, comme Freud invite à le penser, mais bien au manque du manque.

Du point du vue clinique, l’observation montre qu’une constante s’impose : ces enfants ne désirent rien. Et Lacan d’avancer : « Ce qu’il y a de plus angoissant pour l’enfant, c’est justement quand le rapport sur lequel il s’institue, du manque qui le fait désir, est perturbé, et il est le plus perturbé quand il n’y a pas de possibilité de manque, quand la mère est tout le temps sur son dos, et spécialement à lui torcher le cul, modèle de la demande, de la demande qui ne saurait défaillir. [1]»

Pour le sujet « classiquement » névrosé, l’angoisse est encadrée, c’est-à-dire que le surgissement de l’angoisse est corrélatif du moment où une fenêtre s’ouvre. Une fenêtre s’ouvre sur le fantasme, béance soudaine : « C’est encadré que se situe le champ de l’angoisse. [2]» « Le magistral unheimlich de l’allemand, se présente par des lucarnes […] Soudain, tout d’un coup, toujours vous trouverez ce terme au moment de l’entrée du phénomène de l’unheimlich. [3]»

À ce point, jusqu’où pouvons-nous avancer que cette permanence de « l’insécurité interne » que vivent ces enfants toujours en mouvement n’est qu’une impossibilité à s’en remettre au cadre de l’angoisse, à ouvrir des fenêtres sur le fantasme ?

Dans son tableau, ordonné à partir des termes freudiens « inhibition », « symptôme », « angoisse », Lacan écrit : « [tableau] complété d’empêchement, embarras, émotion et émoi. Qu’y a-t-il dans les places vides ? Il y a le passage à l’acte et l’acting- out [4]».

Laissons de côté l’acting-out qui se réfère à la cure et soulignons le passage à l’acte. L’hyperactivité relèverait du passage à l’acte permanent : enfant toujours cognant, remuant, attaquant les petits autres et les cadres de vie.

Cette permanence du passage à l’acte ne se confond pas avec l’« agir » dont Lacan parle ainsi : « Agir, c’est arracher à l’angoisse sa certitude. [5]» L’agir, ainsi évoqué, c’est celui de l’entrée dans la civilisation, l’acceptation du lien social, ce que précisément refusent ces enfants, « refusent » ne serait pas le bon mot mais « conçoivent » serait plus précis.

L’approche de ces enfants peut se faire par le biais des diverses thérapeutiques médicamenteuses qui font effectivement taire la permanence du passage à l’acte.

Elle peut aussi, dans l’espace transférentiel, tenter de faire que le sujet se dégage d’un Autre trop massif, trop présent, trop consistant. Il y a toujours dans cette clinique un temps où il faut supporter les attaques, le ravage parfois réel dans le cabinet. 

Supporter jusqu’au moment où peut s’opérer un déplacement sur une scène symbolique où ces attaquent peuvent « s’encadrer ».

Là, alors, l’angoisse peut prendre sa place et uniquement sa place.

Références

Références
1 Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 67.
2 Ibid., p. 90.
3 Ibid.
4 Ibid., p. 93.
5 Ibid.

Alain Godineau