« Une lecture dans La Cause du désir »

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La lecture, dans ce numéro de La Cause du désir 113, de l’article « Le temps est une entaille. Entretien avec Patrick Boucheron [1]» a fait rencontre.

C’est un entretien de Marie-Hélène Brousse accompagnée de Véronique Eydoux et Luc Garcia, psychanalystes de l’École de la Cause freudienne, avec le médiéviste P. Boucheron. Les signifiants-clés de l’historien sont soulignés et interrogés ; « historien et psychanalystes dessinent les contours du référentiel de leurs disciplines [2]» : le réel en tant que ce qui revient toujours à la même place, la dimension du temps logique plutôt que chronologique et l’imaginaire et le symbolique. L’histoire y apparaît en tant que production langagière comportant, de structure, le malentendu et les questions de l’interprétation et de la transmission. Pour P. Boucheron, ce sont des questions cruciales. Il va chercher, dans le passé, une solution à l’énigme du présent.

Cette conversation entre psychanalystes et chercheur permet de distinguer et de préciser l’usage des signifiants, selon le champ de recherche. L’historien développe et éclaire sa démarche : faire objection aux évidences, faire place à l’énigme. Il met en avant l’intérêt qu’il trouve à la complexité. De façon approchante au psychanalyste, il relève les détails, les incongruités dans l’Histoire : « Le temps humainement parlant n’est pas une succession, c’est une entaille. On ne peut faire de l’histoire si on néglige le fait essentiel qu’il y a des choses qui arrivent et que l’on ne comprend pas tout de suite [3]».

Il y a un travail à faire pour suspendre le moment de comprendre, propose-t-il, ce qui raisonne avec l’enseignement de Jacques Lacan [4]. La logique dégagée n’est pas celle d’un temps linéaire, d’une causalité directe. C’est une construction à partir des discours d’une époque, des modes de vie, de la circulation des signifiants, des objets et usages qui se transmettent. Cela complexifie le feuilleton de l’histoire telle qu’on a pu l’enseigner et en conséquence, fait apparaitre des liens, des singularités, des empreintes qui ont modelé les vies, des disruptions, des vides. Cela évoque ce qui se révèle dans le travail analytique, soit les discours et les signifiants qui ont marqué le parlêtre.

Pour P. Boucheron, « faire de l’histoire c’est aussi se séparer du passé », ce qui est aussi une question au centre de la cure analytique.

L’entretien cerne un point central, quête de cet historien très singulier : « […] beaucoup de temps se replie dans très peu d’espace. Ce qui me ramène à mon inscription première d’historien de l’urbain, attentif aux choses banales, concrètes, matérielles [5]».

Cet entretien témoigne d’un historien attaché à l’importance des détails, au manque, à la trace, à l’énigme, aux trous… de mémoire, ce qui le met en sympathie avec la psychanalyse telle que nous y invite Jacques Lacan dans son enseignement.

Références

Références
1 « Le temps est une entaille. Entretien avec Patrick Boucheron », La Cause du désir, n°113, p.161.
2 Ibid., p. 160.
3 Ibid., p. 172.
4 Lacan J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.197-213.
5 « L’historien de l’urbain » est le nom que se donne le promeneur attentif aux traces du passé lors de ses longues déambulations dans les villes.

Sylvie Poinas, Christine Cartéron