Lors de la soirée à Aurillac, le 11 janvier 2023, qui s’inscrivait dans le cadre de l’atelier « La famille dans tous ses états », j’ai choisi d’intervenir sur le thème : « la famille en crise ». Pour Daniel Roy, la crise est « un principe organisateur de la famille [1]», elle est néanmoins soumise à un réel sans loi, car une crise : « c’est le réel déchainé, impossible à maîtriser [2]».
À partir du texte d’Éric Laurent « Institution du fantasme, fantasmes de l’institution [3]», nous avons pris la mesure de la famille dans la société ainsi que de son évolution. Le discours capitaliste a modifié les normes. La famille monoparentale, « famille à un tout seul [4]», sera dès lors considérée comme « un épanouissement des structures complexes de la famille ramassée [5]».
La chute de l’idéal a également bouleversé l’institution. Si au temps de Freud, l’idéal soutenait les identifications, en 1969, Lacan fait le constat de l’échec des utopies communautaires et fait valoir « lafonction de résidu de la famille conjugale [6]» dans l’évolution des sociétés qu’il opposa à la satisfaction des besoins. Elle implique « larelation à un désir qui ne soit pas anonyme [7]», ce dernier étant conçu comme «l’enverset l’au-delà de l’idéal [8]».
À partir de l’article de Serge Cottet « Le roman familial des parents [9]», nous avons pu faire le constat de « l’érosion des rôles parentaux standardisés [10]» initiés dès les années 1970 aux États-Unis par un groupe d’anthropologues opposés à la psychanalyse et à son universalité de la famille conjugale. Ce «familialisme [11]» ainsi nommé par Lacan a été détrôné au profit d’un relativisme culturel avec les familles hypermodernes qui dénient le rôle de la famille conjugale. Pour S. Cottet, une disjonction est à l’origine des symptômes actuels de l’enfant : celle du père géniteur et du père réel.
Enfin, l’article de Philippe Lacadée « Le parent traumatique, la date du trauma, et l’enfant troumatisé [12]» nous a orienté sur la question du traumatisme de la langue sur le corps en lien avec la rencontre d’un réel, source d’expérience de jouissance hors sens.
C’est parce qu’il y a un trou dans le savoir et que le réel n’est pas assimilable pour le sujet, que l’enfant est « troumatisé [13]». Un cas clinique extrait du livre de P. Lacadée « Le malentendu de l’enfant [14]» nous a permis d’en saisir la logique.
Ce cas nous a montré comment à partir du réel de la langue une orientation analytique peut amener une avancée grâce à la coupure de l’analyste et à son interprétation dans la cure.
Cette soirée nous a permis de repérer que parler de « familles en crise », c’est peut-être finalement, se recentrer sur la question du réel et de la langue. Il y a une dimension de jouissance dans les rapports familiaux qui est à prendre en compte.
Dans sa conférence le 26 novembre 2022, à Clermont-Ferrand [15], Valéria Sommer-Dupont a employé un terme très poétique pour qualifier la relation de l’enfant et de ses parents : « l’enfant est en délicatesse avec ses parents ». Formidable trouvaille pour nommer le rapport de l’enfant au joint le plus intime de son être et du réel. « Être en délicatesse, c’est faire avec l’Autre qui n’existe pas » ajoutera-t-elle. Ainsi, c’est à partir de la délicatesse de sa lalangue qu’il a chance de se construire un monde avec un Autre plus pacifié.
Références
1 | Roy D., « Parents exaspérés – enfants terribles », texte d’orientation vers la 7e Journée d’études de l’Institut psychanalytique de l’Enfant. |
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2 | La crise financière vue par J.-A. Miller, Marianne, 10 octobre 2008, disponible sur internet. |
3 | Laurent E., « Institution du fantasme, fantasmes de l’institution », Les Feuillets du Courtil on line, 2003. |
4 | Ibid. |
5 | Ibid. |
6 | Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373. |
7 | Ibid. |
8 | Laurent E., « Institution du fantasme, … » op. cit. |
9 | Cottet S., « Le roman familial des parents », La Cause freudienne, n°65, 2007. |
10 | Ibid. |
11 | Ibid. |
12 | https://institut-enfant.fr/zappeur-jie7/le-parent-traumatique-la-date-du-trauma-et-lenfant-troumatise/ |
13 | Lacan J., « Le malentendu » (1980) Aux confins du Séminaire, coll. La Divina, Paris, Navarin, 2021, p. 74. |
14 | Lacadée.P., Le malentendu de l’enfant, Payot Lausanne, 2003, p. 283 à 295. |
15 | Conférence intitulée « L’apparenté, à part entière ? » dans le cadre de la journée préparatoire à la 7e Journée d’études de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, organisée par le groupe Nadia, l’ACF en MC, et les laboratoires du Cien Tokonoma et De la filiation à l’affiliation, le 26 novembre 2022, Clermont-Ferrand. |