Rencontre avec

Valentine Dechambre a rencontré Jean-Robert Rabanel, directeur thérapeutique du CTR de Nonette.

Valentine Dechambre : Que nous apprend l’expérience analytique concernant le coronavirus ? 

Jean-Robert Rabanel : Une vignette clinique pourrait-elle nous éclairer ?

La vignette qui me vient concerne Roland, un sujet de Nonette dont je m’enseigne depuis longtemps. J’ai appris de lui le redoublement, certains d’entre vous se souviennent de son : « Bonnes vacances ! »[1]

Roland a été le premier cas de suspicion de coronavirus au CTR de Nonette[2], à partir de signes d’appels digestifs qui l’ont conduit au CHU où un bilan diagnostic a pu être établi avant que le patient nous soit retourné, le service étant réquisitionné par les transferts de malades atteints du coronavirus provenant de l’Ile de France. Durant le temps de son hospitalisation Roland a été calme dans l’ensemble. J’avais demandé qu’on lui dise que Rabanel prenait de ses nouvelles régulièrement car cela pouvait l’apaiser, avant de le sédater par médicament. La consœur médecin m’a assuré qu’elle le lui dirait elle-même et qu’elle transmettrait au personnel soignant cette information pour apaiser Roland. 

Je me faisais alors la réflexion que le virus réveillait l’humanisme des médecins ! 

C’était à un point tel que lorsque les jours suivants j’interrogeais pour savoir si Roland était calme, l’infirmière au téléphone était surprise par ma question. Roland ne leur posait pas de problème. L’information « Rabanel a appelé » semblait l’apaiser. Je précise à la médecin de dire plutôt « Banel », car c’est ainsi qu’il me nomme. « D’accord » me répond la médecin, très appliquée.

Je ne rencontre dès lors aucun problème pour prendre des nouvelles régulièrement. C’est une démarche en équipe puisqu’un autre jour une nouvelle internem’apprend que Roland va bien physiquement mais qu’il se montre plus impatient au point, me dit-elle, qu’ils lui ont redonné ses jouets. J’ai renouvelé l’indication de bien lui dire « Banel » et elle a ajouté, enjouée : « oui, pour l’apaiser. »

Lorsque j’ai proposé de laisser passer quelques jours avant de prendre des nouvelles pour ne pas déranger, la réponse : « mais vous ne nous dérangez pas » ne s’est pas fait attendre.

Voilà un transfert psychotique apaisant avec son « Banel » plein la bouche. C’est à peine croyable et pourtant c’est bien le cas. Un transfert apaisant, peut être bien aussi pour les médecins débordés de statistiques et de protocoles qui écrasent la clinique, et auxquels un sujet sans parole vraiment articulée vient apporter un peu d’air frais, si je puis dire. 

Le transfert dans la psychose est plus sur le versant de l’objet, de la lettre, que sur le versant du savoir supposé, au contraire de la névrose. Le transfert à la lettre, l’interprétation, à la lettre, sont de la période de l’Autre qui n’existe pas. C’est hors sens, par la lettre.  Cela se déduit de la formule du transfert dans la « Proposition du 9 octobre 1967 »[3], à la condition de la renverser, ce qui est autorisé, car le texte est charnière entre le Lacan classique et le dernier Lacan. 

« Banel » résulte d’une première interprétation, par le sujet, par un travail de ponction sur le matériel signifiant de base, ici le nom Rabanel amputé de la première syllabe Ra.

L’effet du langage articulé S1-S2 est un sujet divisé. Le produit de la lalangue est un corps parlant. Le corps parlant est le nom de ce que Lacan ne dit qu’une seule fois dans l’introduction à la traduction de l’œuvre de Schreber « Mémoires d’un névropathe », sous le terme : « le sujet de la jouissance ».

Le propre de l’analyse est de faire entendre à l’analysant ce qu’il dit, sans le savoir, donc faire entendre à l’analysant sa lalangue, S1, sans le savoir S2, la structure de langage. L’analyste n’invente rien. Il apprend en se faisant docile au dire des analysants.

Après une semaine d’hospitalisation, l’état de santé de Roland s’avère satisfaisant. Le service du bloc opératoire est réquisitionné pour la lutte contre la pandémie. Le problème de santé jugé non urgent, le contact est pris avec le CTR de Nonette pour le retour.

La consigne à toute personne faisant retour dans l’institution, de mettre en œuvre un confinement durant 14 jours, va curieusement relancer l’angoisse du coronavirus, à l’occasion d’une fausse route alimentaire, bien évidemment, sans lien avec le virus, exceptée l’angoisse massive que celui-ci fait peser sur nous et à laquelle nul ne fait exception. 

Le confinement confronte chacun au vide, à son autisme personnel.  Les sujets autistes que nous recevons à Nonette nous apprennent comment faire lien social à partir du maniement de la lettre et celui des objets, tel le cas de Roland [4].

Références

Références
1 LM n°311 2012, La Cause du Désir n° 102, juillet 2019.
2 Centre thérapeutique et de recherche de Nonette
3 Lacan J. La Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École, Autres écrits, 2001, Seuil
4 « La sortie de l’autisme par le dialogue. » Journée du RI3 à Clermont en janvier 2008. In La petite girafe n °27 « Dialogues avec les autistes », mai 2008. 

Jean-Robert Rabanel

Psychanalyste, membre de l'ECF et de l'AMP