« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »
Fable de Jean de la Fontaine, « Les animaux malades de la peste »
Au moment de me mettre à l’écriture ce qui se présente, c’est une impossibilité à formuler quelque chose concernant le bouleversement radical et inédit que nous sommes entrain de vivre.
En ce temps de contamination par le nouveau coronavirus, le COVID-19, le réel tel que Lacan l’a élucidé en tant qu’impossible à supporter cogne fort et le temps des conséquences n’est pas advenu. Cette catastrophe met le monde entier au pas de la distanciation des corps avec comme unique moyen de gestion de la « crise sanitaire » qu’il engendre : le confinement.
« L’analyste, lui, a pour mission de le (le réel) contrer »[1] au un par un. Mais le dispositif psychanalytique qui requiert la présence des corps est touché de plein fouet par cette loi d’urgence exigeant de chacun la limitation maximum de ses sorties afin de se protéger et de protéger l’autre. Peut-être est-ce là un des points essentiels qui entrave l’écriture ?!
Lorsque j’ai dit oui à la proposition de Valentine Dechambre de produire un petit écrit pour le Courrier, des fragments de textes de Freud sont venus y faire écho. J’ai choisi celui-là extrait de « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort »[2], texte de 1915. « Entrainés dans le tourbillon de ce temps de guerre (première guerre), insuffisamment renseignés, sans recul suffisant pour porter un jugement sur les grands changements qui se sont accomplis ou sont en voie de s’accomplir, sans échappée sur l’avenir qui se prépare, nous sommes incapables de comprendre la signification exacte des impressions qui nous assaillent, de nous rendre compte de la valeur des jugements que nous formulons. (…) La science elle-même a perdu sa sereine impartialité. »[3]
C’est en entendant au téléphone une dame de plus de 90 ans qui, du fait de son isolement dû au confinement, décide de « parler à une psy », que le traitement de masse de cette obscure pandémie a fait place à un rai de lumière.
« Je n’ai plus de visite et ça tourne dans ma tête. Comme j’ai très peur de mourir du coronavirus du fait de mon âge, je ne veux pas partir en emportant ce qui me torture. » Il s’agit pour elle de dire le tour qu’a pris sa vie à la sortie de la seconde guerre mondiale où elle a cédé sur son désir en renonçant à son « grand amour ». Ainsi dans l’attente de jours meilleurs où la présence des corps pourra à nouveau être possible, un lien à la clinique analytique peut perdurer.
Pour continuer à supporter ce présent sans l’appui du corps de l’autre, je saisis cette phrase de Freud extraite de son ouvrage La question de l’analyse profane : « Il est certainement plus juste d’accepter les complications de la vie que de se dresser contre elles »[4] à laquelle je m’autorise à ajouter : « soit en s’arc-boutant, soit en faisant comme si de rien n’était ».
Dans ce temps où l’existence confine à l’inquiétude extrême, à quel moment l’impératif « restez chez vous » pourra-t-il se transformer en un nouage nouveau entre le réel de l’existence et une joie retrouvée ?