Confins

Cela fait des années, que je tourne autour d’une phrase de Lacan, que je la relis, que je la reprends, que je tente de multiples façons de la décliner. Cette phrase qui se présente comme une prédiction, comme une prophétie, reste toutefois une énigme de cerner, de donner forme au réel, d’être signe du réel, qui dès lors qu’on consent à en être dupe, peut ex-sister au titre d’un réel.

Je vous livre donc cette phrase de l’« Allocution sur les psychoses de l’enfant » :

« Les hommes s’engagent dans un temps qu’on appelle planétaire, où ils s’informeront de ce quelque chose qui surgit de la destruction d’un ancien ordre social que je symboliserai par l’Empire tel que son ombre s’est longtemps encore profilée dans une grande civilisation, pour que s’y substitue quelque chose de bien autre et qui n’a pas du tout le même sens, les impérialismes, dont la question est la suivante : comment faire pour que des masses humaines, vouées au même espace, non pas seulement géographique, mais à l’occasion familial, demeurent séparées ? »

L’institution qui devait se dissoudre dans la société, se retrouve donc à l’heure du confinement, d’un confinement qui semble redonner vie au grand renfermement qui constitue ses origines lointaines. Pourtant plus que d’un retour au passé, d’un retour à la naissance de la clinique et de l’institution, c’est à un nouveau traitement des populations auquel nous avons affaire. La question de la sortie ne se pose plus, puisque nous sommes encore confinés lorsque nous sortons hors des murs, les déplaçant avec nous, devenant à notre corps défendant de simples éléments d’un calcul mondialisé.

Les résidents de Nonette ne semblent pas affectés par cette catastrophe outre mesure. Ils ont intégré avec souplesse et détachement ce mot qui envahit les ondes, « virus » et poursuivent avec détermination, légèreté ou rigueur l’invention de leur existence au quotidien. Généreux, ils nous en lâchent quelques bribes, nous enseignant que la vie hors sens ne relève pas que de l’impossible. Elle se nourrit des contingences, des rencontres qui viennent trouer la trame serrée et compacte des stratégies et des protocoles. Ce qui se dégage alors, c’est l’indication précieuse de Lacan à la fin de son enseignement : dans ces temps de confins de l’ancien monde, se livrer avec joie, à un effort de poésie.

Jean-Pierre Rouillon

Psychanalyse, membre de l'ECF