La venue de Philippe Lacadée a fait évènement pour l’antenne d’Aurillac. Elle s’est inscrite comme point conclusif de notre atelier de lecture intitulé : « La famille dans tous ses états ».
Cette journée s’est déroulée en deux temps :
Le matin, P. Lacadée a donné une conférence. Son titre, « Turbulences adolescentes » a fait écho aux évènements de mai 68 que Lacan qualifiait d’« effets de turbulence[1] ». Il nous a fait entendre comment l’analyste se fait « partenaire symptôme » du sujet confronté à l’insupportable de son existence. Il a montré en quoi la turbulence de l’enfant était symptomatique : « Il faut respecter le cri et la turbulence de l’enfant pour l’élever à la dignité du symptôme ». Le cri n’est qu’un vecteur vers le signifiant de la demande et s’inscrit dans une logique pulsionnelle. L’enfant, confronté au trou dans la langue, doit se saisir de la parole comme expérience de séparation pour pouvoir interroger son être : « Que fais-je ? Qui suis-je ? ». Les turbulences visent le lien à l’Autre. Se saisir de la parole peut permettre alors un passage de l’image à l’imaginaire.
P. Lacadée parie sur la conversation à une époque où « la père-fusion » de langage devient nécessaire, perfusion étant à entendre comme injection de langage. Comme le disait Roland Barthes : il faut retrouver le goût des mots.
À notre époque, le symbolique est souvent réduit au surmoi. Il faut parier sur la paire signifiante et non pas sur le père, indique P. Lacadée. Aujourd’hui, les réseaux sociaux permettent aux jeunes de s’appareiller et de créer un lien social en introduisant « une sorte d’articulation ». Face au consumérisme qui les touche, il conviendrait de rétablir les semblants afin que l’adolescent puisse se faire responsable de sa position de sujet.
Les turbulences gagnent également l’école. L’enseignant est démuni. « On n’a plus la possibilité d’interdire, maintenant » nous a dit une enseignante. Effectivement, la dette symbolique a été ravie aux élèves ; « le Dieu du sens est mort, surgit alors le Dieu de la jouissance » constate P. Lacadée.
Le symbolique, moteur du refoulement est inopérant ; il s’agit comme dirait Daniel Pennac de rétablir le discours dans la grammaire pulsionnelle de la langue.
L’après-midi, à la librairie Point-Virgule, P. Lacadée a présenté son ouvrage, Robert Walser, le promeneur ironique[2]. Cet écrivain suisse, de langue allemande, enfant malmené et maltraité se comptait pour rien et se qualifiait de « ravissant zéro tout rond ». Sa mère, dans ses accès de mélancolie, lançait sur lui des couteaux.
« Le poète dit mieux que le psychanalyste » fait valoir P. Lacadée. Robert Walser se servait de l’écriture « pour traiter sa très grande sensibilité à la sonorité du signifiant, à ce qu’il entendait dans les mots[3]. »
À travers ses ouvrages, R. Walser n’a eu de cesse de se faire aimer par cette mère inabordable. Les promenades dans la neige lui ont permis un savoir y faire avec la langue. Elles étaient pour lui un moyen d’entendre ses pensées. Dans la neige, il lisait à voix haute, s’entendait parler et savourait la sonorité de la langue.
« Être l’homme à tout faire » a été sa solution. Il gaminait avec les mots de l’Autre et leur résonance. Il a inventé le « style du temps présent » à partir du « lac acoustique de la langue ». R. Walser est toujours resté dans la marge, à côté de l’Autre. Il s’est saisi du signifiant « feuilletoniste » comme S1 pour trouver abri dans le lien social.
Une « crise de l’écriture[4] » va survenir après la mort de son frère ; l’écriture à la plume le persécute, ainsi que son bruit. Il adopte alors une écriture au crayon qui « s’applique plutôt à reproduire en miniature les caractères de son écriture habituelle, comme pour la maintenir dans le secret[5] ».
Il finira sa vie dans la neige en s’identifiant à un flocon qui résonne dans « le hamac de l’ouïe ».
Merci à Philippe Lacadée.