Écho de la soirée préparatoire aux J52 : « La parole aujourd’hui en institution »

Pissarro C., Woman and Child at the Well, 1882.

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Comment mon travail en pédopsychiatrie peut-il faire résonner le titre de ce soir : « Le sujet contemporain, son discours, dans l’institution [1]» ? Ai-je affaire au dico tel que saisi par Jacques-Alain Miller [2] ? Auto-affirmation, identité auto-produite, revendication identitaire, comment repérer ce dico dans le discours d’un enfant ?

Il me vient plutôt à l’esprit les assignations de l’Autre auquel il peut être soumis et qui font le quotidien de notre pratique. Il est communément admis que l’enfant est parlé avant qu’il ne parle. On repère les assignations de l’Autre parental, mais aussi de l’Autre social : école, travailleurs sociaux qui entourent l’enfant et sa famille. Ils sont bien souvent au cœur des demandes d’accompagnement en pédopsychiatrie.

Le discours en institution, alors ? Aujourd’hui, il est adossé à la novlangue qui dénie la causalité inconsciente ; en conséquence, le symptôme de l’enfant est réduit au trouble, à une interprétation toute neuro.

À l’ère du dico, le sujet se résume à ses comportements, à sa cognition et à ses neurones, comme le précise Éric Zuliani dans son argument [3] aux prochaines Journées ; l’enfant ne fait pas exception : il est question de tout expliquer en un mot, d’être efficace et sans équivoque. Des questionnairesse distribuent illico presto, nombre d’enfants sont inscrits sur les listes d’attente du Centre Ressources Autisme régional (C.R.A.). Les tests de Conners font leur apparition en libre-service, un à adresser à l’enseignant, un aux parents car il s’agit désormais de « constituer un recueil avec le maximum d’éléments par l’hétéro-anamnèse ». La parole de l’enfant est évacuée.

Exit également la rencontre de celui-ci, car la version 2.0 du transfert, c’est la téléconsultation dispensée par un médecin qui se nomme lui-même « expert ». N’est-ce pas là le dico moderne ?

Ce tourbillon m’invite, davantage encore, à être prudente dans ma manière de parler des enfants que je reçois en séance. Dire qu’un enfant a été « agité » peut être pris au mot et déclencher les signaux d’un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Ainsi entend-t-on : « Du fait de son TDAH, il a pris des habitudes de comportements, il nécessite une aide psychopédagogique ». Si un enfant s’ennuie à l’école, alors c’est un indicateur de haut potentiel intellectuel (HPI). Un autre enfant parle de ses Pokémons en séance et c’est interprété en tant qu’« intérêts restreints, suspicion de troubles neurodéveloppementaux (TND) ». Ces diagnostics prennent l’allure d’« une affirmation aux accents impératifs qui efface toute interlocution [4]».

« Injonction au silence » lisons-nous dans les arguments [5] aux J52 et ainsi qu’Anaëlle Lebovits-Quenehen l’énonçait samedi 1er octobre lors de sa conférence [6] à Clermont-Ferrand : « Vers les J52 ».

La classification psychiatrique moderne prêt-à-porter, soutenue par une volonté de tout chiffrer, associe une thérapeutique clefs en main, prête à l’usage, avec pour dictat : qu’aucune énigme soit posée, qu’aucune question reste sans réponse et le projet de soin de l’enfant est ficelé. Pas question d’ouvrir la voie à un déchiffrage, à une historicisation.

Ce discours va de pair avec celui de l’évaluation et du droit. La précipitation au diagnostic, particulièrement pour le TDAH, est bien souvent justifiée par cet argument : le diagnostic ouvre des droits MDPH (Maison départementale pour le handicap), le handicap doit être reconnu pour permettre l’allocation d’aides financières et humaines.

Une fois le diagnostic référencé, l’enfant est intégré dans un parcours de soin, avec une thérapeutique définie, ne relevant plus de la pédopsychiatrie. Il est redirigé vers les centres experts et le médico-social, selon les orientations de l’Agence régionale de santé (ARS). « Être dans son mandat de soin » devient une injonction à laquelle le professionnel en institution ne peut déroger.

Ces formes contemporaines du déni de l’inconscient trouvent un terrain fertile en institution, dans lesquelles le savoir de la science évince le savoir inconscient en tant que c’est « un savoir, un savoir emmerdant [7]», un « savoir [qui] emmerde le sujet » comme le rappelle Alice Delarue dans son argument aux J52 : « car il implique  » le sans pardon, et même sans circonstances atténuantes » quant à sa responsabilité devant la vérité, une fois qu’il l’a entraperçue dans sa dimension d’horreur. Si le discours analytique reste scandaleux, c’est qu’il va à rebours de la pente commune, qui est celle du refus ou de l’écrasement de ce réel [8]».

Comment transformer ce « je n’en veux rien savoir [9] » en désir de déchiffrage ? Je pense à une remarque que j’avais entendue ici, dans ce local : « On ne recule pas devant le transfert. » Comment subvertir ce discours du maître moderne pour laisser place au sujet, sinon en pariant sur le transfert ? 

Références

Références
1 « Le sujet contemporain, son discours, dans l’institution », soirée préparatoire aux J52 organisée par l’ACF en Massif central, lundi 10 octobre 2022 à Clermont-Ferrand.
2 Miller J.-A., « Le dico », « Question d’École », 22 janvier 2022.
3 Zuliani E, « L’argument d’Éric Zuliani », trois interprétations du thème des J52, site des Journées de l’ECF.
4 Zuliani E., « L’argument d’Éric Zuliani », op. cit.
5 Lebovits-Quenehen A., « L’argument d’Anaëlle Lebovits-Quenehen », 3 interprétations du thème des J52, site des Journées de l’ECF.
6 Lebovits-Quenehen A., « Vers les J52 », conférence donnée le 1er octobre 2022 à l’ACF en Massif central à Clermont-Ferrand.
7 Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, « Les non-dupes errent », leçon du 11 juin 1974, inédit.
8 Delarue A., « L’argument d’Alice Delarue », 3 interprétations du thème des J52, site des Journées de l’ECF.
9 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Seuil, Paris, 1975, p. 9.

Fanny Laramade