ÉCHO DE LA SOIRÉE PRÉPARATOIRE AUX J52 : « Saisir l’ouverture »

Grünewald I., View of Stockholm, non daté.

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La soirée préparatoire de l’ACF en MC intitulée « Le sujet contemporain, son discours, dans l’institution » en direction des J52, a été l’occasion d’interroger le dico « Je suis ce que je dis » à partir d’une pratique clinique orientée par la psychanalyse en institution. J’ai répondu à l’invitation de la déléguée régionale Laurence Charmont, à partir de la place que j’occupe comme psychologue travaillant dans une administration.

Depuis plusieurs mois, une question, dont je suis le destinataire, revient régulièrement : « Vous l’ASE, que faites-vous ? ». Cette question, qui n’en est pas vraiment une, souligne qu’un déplacement a eu lieu en terme d’adresse : là où c’était le psychologue, la fonction du psychologue qui était attendue, c’est l’institution qui est convoquée. C’est nouveau, et je suis bien embarrassé pour répondre à ça.

Je lis ce mouvement comme un point de fermeture. Si la tendance, celle des réseaux et des plateformes, promeuvent le travail en partenariat, c’est l’inverse qui semble se produire. Ce « je suis ce que je dis » pousse dans cette direction, du chacun pour son moi, sans qu’aucune question, qu’aucun échange puisse s’adresser ou s’engager.

Travaillant pour une administration, je suis, à ce titre, « un agent dont les fonctions consistent à assurer l’application des lois et la marche des services publics conformément aux directives ». C’est une définition d’une pratique ancrée dans le politique, celle de la protection de l’enfant. Néanmoins, j’ai toujours considéré travailler dans une institution, c’est-à-dire un lieu où la parole circule. « Dans la famille, à l’école, dans les lieux d’éducation et de soins, ça parle. Si la parole est le moyen par lequel se noue le lien social, c’est aussi le lieu du malentendu et du tourment. [1]» Il m’importe de maintenir un écart entre administration et institution, afin de ménager un lieu à la parole. Le titre de cette soirée nous y invite particulièrement.

De quoi s’agit-il alors ?

De donner ou redonner une valeur au lien. Une valeur qui permet de détacher [2], de ce qui se présente d’abord comme massif : le petit élément, le petit détail qui pourrait faire la différence dans une rencontre. Recevant des enfants, c’est souvent l’autre qui me demande d’engager un suivi. Ce circuit de la demande emporte avec lui, son lot d’étiquettes, d’impuissance, de désarrois, d’embarras…L’enfant est parlé par l’autre, mais dans le champ de la protection de l’enfant, c’est redoublé. La demande contemporaine soulève au moins une difficulté : en mettant davantage l’accent sur la plainte, ce qui est visé n’est pas une demande de savoir sur ce qui ne va pas pour l’enfant, mais plutôt une forme d’exigence à ce qu’il puisse être normal, en effaçant l’écart entre ce qui le trouble, ce qui fait symptôme pour lui et les normes. Il faut en quelque sorte l’adéquation du sujet aux normes.

Alors avoir dans la pratique le postulat de l’inconscient est un appui solide pour s’orienter avec le sujet dit contemporain, marqué par le discours d’une époque, la nôtre. Lacan, dans son texte, La troisième nous fait apercevoir que l’inconscient « ça se présente comme un petit poisson dont le bec vorace ne se referme qu’à se mettre du sens sous la dent [3]». L’inconscient, via les symptômes, n’échappe pas aux discours de son époque, et se nourrit de ce qu’elle produit. Pour ma part, d’avoir cette phrase sous la main allège considérablement la pratique. Oui l’inconscient, les symptômes s’abreuvent du sens, mais si symptôme il y a, c’est que quelque chose rate et échappe à l’individu quand il parle.

Que peut alors la psychanalyse ?

Cette parole qui vient de l’Autre estampille l’enfant, et cela peut avoir comme conséquence, de produire un effet de collage entre ce qui est dit, et le « je suis » de l’enfant. Ce dit s’il colle à la peau, pose alors au moins deux questions : faut-il viser le décollement de l’enfant de ce qui est dit de lui ? La seconde question porte sur la manière de répondre : quelle est la responsabilité du praticien quand il accueille l’enfant et sa parole ?

Dans un texte qui s’appelle « Mon enseignement, sa nature et ses fins », Jacques Lacan, se saisit d’une objection qui lui a été faite par une participante : « Pourquoi avez-vous trouvé nécessaire de mettre dans le coup le sujet ? Où y a-t-il trace dans Freud du sujet ? » et Lacan de préciser comment le sujet a à « se situer comme il peut » dans un discours, il poursuit, « si quelque chose nous redonne le sentiment qu’il y a un endroit où on le tient, [le sujet], où c’est à lui qu’on a affaire, c’est à ce niveau qui s’appelle l’inconscient. Parce que tout ça, ça rate, tout ça, ça rit, tout ça, ça rêve [4]».

Ça rate, comme pour ce jeune adolescent nommé Paul et né fille. Lors de la première séance, l’accord grammatical au féminin quand Paul parle, fait surgir une hésitation de mon côté au moment d’inscrire un prénom sur le carton du prochain rendez-vous. Cette hésitation l’amène à répondre : « Alexandra ». Cet acte manqué est à considérer comme une indication qu’il y a là, en jeu pour ce sujet, une question.

Ça rit, comme pour Elsa, cinq ans, qui ne rate pas de donner consistance aux paroles qui viennent de l’Autre « je suis coquine, je fais la comédie et je fais des crises », jusqu’au moment où d’association en association, un dire fait surgir la dimension sexuelle : elle rit. Ce rire, ouvrira en fin de séance sur « je suis une fille moi », faisant entendre un je suis, pas tout à fait identique aux autres.

Ça rêve, comme pour Irène, dix ans qui répond à l’invitation d’aller parler à quelqu’un, en passant en revue une série infinie de je suis. Lors d’une séance, je saisis l’instant où les mots lui manquent pour lui poser une question : Rêvez-vous ? Surprise, elle évoque un rêve. Elle associe, et fait une découverte : « ma mère me manque ». À la séance suivante, elle dit : « plus jamais je ne vous dirai que j’ai rêvé ! Ça m’a fait peur ». Toutefois, ce rêve a fait ouverture. Un nouveau lien s’est créé, et avec lui un nouvel élan.

Références

Références
1 Argument à destination des institutions pour les J52 « L’institution, un lieu, un lien », inédit.
2 Cf. Miller J. A., « L’orientation lacanienne. Le lieu et le lien », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 22 novembre 2000, inédit.
3 Lacan J., « La troisième », La Cause freudienne, no 79, octobre 2011, p. 17.
4 Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 103.

Nicolas Jeudy