Le 28 mai dernier avait lieu, en visioconférence, la 2e soirée des cartels, orchestrée par Claudine Valette-Damase [1]. Après une introduction reprenant les textes fondamentaux, Emmanuelle Arnaud [2] a su accompagner, scander et interroger les trois interventions au programme. Ses scansions, avec une citation de Lacan en écho de chaque texte, sont venues agréablement épicer notre soirée et alimenter une vive discussion.
Pour cette soirée, C. Valette-Damase avait mis en valeur le cartel comme « moyen pour exécuter le travail [3]». Elle a proposé cette année une série de rencontres intitulées « Lecture et étude des concepts fondamentaux de la psychanalyse », titre non sans lien avec les grands événements qui animent le champ freudien, initiés par Jacques-Alain Miller dans sa lettre du 1er mai [4].
Elle a fait le choix de textes pertinents ouvrant dit-elle à un savoir troué, un savoir de traviole. Ces productions soulignaient les effets du cartel et l’importance de celui-ci comme lieu fondamental et incontournable pour l’étude de la praxis analytique.
Trois cartellisants sont intervenus, éclairant le thème avec leur production, chacun selon son style. Comme l’indique Jacques Lacan quand il propose ce dispositif, leur mise au travail, dans trois cartels différents, rendait vivante et vivifiante l’étude de la psychanalyse. Ils nous ont transportés au vif du R.S.I. sur fond de pandémie et avec le cartel comme bouée.
Gérard Darnaudguilhem a partagé sa question de l’angoisse qui a surgi pendant la pandémie avec son texte intitulé POLITIKEKOVID. Emmanuelle Arnaud lui a proposé comme citation : « Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque. Car comment pourrait-il faire de son être l’axe de tant de vies, celui qui ne saurait rien de la dialectique qui l’engage avec ces vies dans un mouvement symbolique. Qu’il connaisse bien la spire où son époque l’entraîne dans l’œuvre continuée de Babel, et qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages. [5]» Elle a souligné l’énonciation d’un travailleur décidé qui venait dire comment opérait un cartel pour lui. Il ne s’agissait pas de savoir encyclopédique mais de nouer, d’articuler et de faire des liens entre l’expérience, la pratique et la théorie. Nous suivions G. Darnaudguilhem dans son trajet d’un travail en cartel bien décidé pour faire face à la COVID19 et en traiter les effets. Il parlait du discours capitaliste en marge des quatre discours comme venant secouer le lien social.
Elsa Knapnougel à la lecture de son écrit « Le travail au sein d’un cartel », apportait une touche de poésie et de couleur tout en interrogeant selon ses dires « sa légitimité de tenir une place en étant dans un espace » : elle-même dans un cartel. La citation proposée par E. Arnaud était au plus proche de son texte : « Le seul avantage qu’un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position, lui fût-elle donc reconnue comme telle, c’est de se rappeler avec Freud qu’en sa matière, l’artiste toujours le précède et qu’il n’a donc pas à faire le psychologue là où l’artiste lui fraie la voie [6]».
La voix sonnait mais en extension, il y était question du corps, du corps parlant. Cette cartellisante mettait en exergue le rôle nécessaire du plus-un qui accompagne en permettant d’aller au-delà, sans savoir prévu d’avance, vers une création qui révèle la solitude et les fragilités dans un mouvement de 4+1 comme effet du cartel, lieu de liberté de parole.
« Le sujet supposé savoir qu’est l’analyste dans le transfert ne l’est pas supposé à tort, s’il sait en quoi consiste l’inconscient, d’être un savoir qui s’articule de lalangue, le corps qui là parle n’y étant noué que par le réel dont il se jouit [7]».C’est la dernière citation proposée par E. Arnaud pour souligner le texte de Christel Astier qui conclut par «En cartel, ça cause… » Notons l’équivoque de son titre qui se poursuivait au fil du texte où dès le début elle interrogeait le non-rapport sexuel. Sens et jouissance se nouaient sur le même échiquier. Les effets obtenus par un gain de savoir théorique faisaient face aux effets d’interprétation. Elle se centrait sur le statut de la parole et de la jouissance qu’elle recèle. On pouvait y suivre, au fil de la lecture, un tissage du bien dire, épistémologique, politique et éthique.
Une belle soirée où la transmission fût au rendez-vous !
Références
1 | Valette-Damase C., psychanalyste, membre de l’ECF, déléguée aux cartels pour l’ACF en MC. |
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2 | Arnaud E., psychanalyste, membre de l’ECF et de l’ACF en Voie Domitienne, invitée en tant que membre de la Commission des cartels de l’ECF. |
3 | Cf. Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 1964, p. 229. |
4 | https://jacquesalainmiller.wordpress.com/2021/05/02/jacques-alain-miller-lettre-du-premier-mai-2021/. |
5 | Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321. |
6 | Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol V. Stein », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001. p.192-193. |
7 | Lacan J., « La Troisième », texte établi par Jacques-Alain Miller, La Cause freudienne, n° 79, p. 20. |