Journée « inter-cartel » – Échos

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Une journée « inter-cartel » sur le thème : « Politique du cartel, politique de la psychanalyse » a eu lieu à Clermont-Ferrand le samedi 16 octobre dernier sous l’égide de l’ACF en Rhône-Alpes et de l’ACF en Massif central en présence de Beatriz González-Renou, secrétaire aux cartels de l’École de la Cause freudienne. Nous proposons ici trois échos de cartellisantes.

Écho par Sophie Boutin, cartellisante de l’ACF en RA

J’ai beaucoup apprécié cette matinée d’échanges. Des concepts comme transfert de travail, cartel organe de l’École, savoir troué, la fonction du plus-un dans le cartel, et d’autres signifiants propres à notre champ ont pu résonner de façon toute nouvelle avec simplicité sans simplification.

La parole de chacun, différente, singulière, a contribué à une avancée d’ensemble nous faisant entendre la raison du cartel dans la pratique du discours analytique. Le cartel n’est pas seulement une instance de travail. Il est courroie de transmission d’un savoir qui ne cesse de nous mettre au travail et de faire lien social vivant dans la communauté analytique.

Cette matinée de travail qui n’a cessé d’articuler le temps logique et chronologique a été particulièrement vivifiante pour moi qui suis entrée en analyse en 1973 et ai bien connu les querelles entre les analystes d’orientations différentes, querelles féroces aussi entre analystes référés à Lacan mais selon des modalités opposées de façon cruciale. Les uns attachés au premier Discours de Rome souhaitaient une École organisée selon l’ordre d’une autorité hiérarchique garantissant la validité de la formation des analystes. Et ceux qui suivaient Lacan dans sa confiance formidable dans le transfert de travail et la passe pour la formation des analystes.

Écho par Christine Carteron, cartellisante de l’ACF en MC

« L’inconscient, c’est la politique » dit Lacan. « L’inconscient, c’est le signifiant-maître présupposé », donc à produire dans le travail de la cure, propose Jacques-Alain Miller dans son cours « Un effort de poésie [1]». Gageons que le travail de cartel accompagne celui de la cure.

Lors d’un premier tour de paroles, cette rencontre inter-cartel n’aura pas tant concerné ce qu’est le cartel, que comment l’on s’en sert et les effets produits de cet usage. Le temps de crise, le temps pour dire, le temps de la durée des séances de cartel, le temps pour que les signifiants propres à chacun résonnent.

Puis un second tour a permis d’entendre des collègues ayant occupé la fonction de plus-un dire leur expérience.

Enfin l’après-midi les questions adressées à Beatriz Gonzáles-Renou et ses réponses, ont permis d’entendre ce qui, de la politique de la psychanalyse présente dans chaque exposé de la matinée, était noué par l’efficace du cartel et ses effets. Effets permettant un pas de plus vers le désir de savoir et le désir d’élucidation de la question singulière propre à chacun. Chacun des travaux exposés étaient une mise à ciel ouvert de l’expérience vivante qu’est le cartel.

Dans ce court billet, je confierais l’intérêt qu’a éveillé pour moi le soin pris à ne pas oublier l’origine du cartel, sa genèse, et la portée politique présente dans sa structure. J’ai aussi été attentive à la place symbolique faite au temps, à son épaisseur, à sa nécessité logique, au « faut le temps » de Lacan [2].

Cette considération de l’importance de découvrir d’où vient ce dispositif « organe de l’École », a amené du nouveau, m’a permis d’entendre autrement l’intérêt et l’attention de J. Lacan pour Bion, qu’il porte à notre connaissance dans « La psychiatrie anglaise et la guerre [3]».

C’est en 1940 qu’il se rend à Londres et le rencontre. Ce texte enthousiaste attribue aux Anglais combattants une dignité admirable. La description qu’il fait de ces deux médecins psychiatres, Bion et son collègue Rickmann, est superbe et chaleureuse [4]. Lacan précise l’importance du fait que nombre de ces psychiatres engagés dans l’expérience qu’il décrit étaient psychanalystes et qu’en tout cas « tous ont été pénétrés par la diffusion des concepts et des modes opératoires de la psychanalyse [5]». Minutieuse aussi l’attention portée à leur trouvaille, un dispositif visant à ramener à la vie civile des hommes traumatisés par le feu de la guerre. Créer un petit groupe sans chef, dont Bion fait partie, où sera favorisée une identification horizontale plutôt qu’à un chef. Une tâche leur est proposée qu’ils doivent résoudre ensemble.

Surprenant de découvrir Lacan se différencier de Freud, déjà, quand il souligne son intérêt pour l’horizontalité propre au processus : « processus d’identification horizontale que le travail de Freud, évoqué plus haut, suggère peut-être, mais néglige au profit de l’identification, si l’on peut dire, verticale, au chef [6]».

L’organe cartel, ce sont aussi les actes de Lacan qui le vivifient, tant l’Acte de fondation de son École en 1964 [7] que sa décision de dissolution de cette École freudienne de Paris qu’il avait fondée [8]. Pas sans, le soulignait B. Gonzáles-Renou, les évènements de l’histoire, dont mai 68 et sa contestation des maîtres que Lacan a entendue. Pas sans l’exclusion dont il a fait l’objet (L’excommunication) de la part de petits maîtres au sein de son École s’octroyant le pouvoir de dire qui peut exercer la psychanalyse et qui ne le peut pas, qui peut enseigner et qui ne peut pas. Lacan tiendra opérant cet organe de base qu’est le cartel et n’aura de cesse d’aller contre une institution psychanalytique fermée, hiérarchisée. Dans son texte « D’écolage [9]», il dit l’importance pour lui de la formation du psychanalyste, d’une transmission de la psychanalyse. Il démarre la Cause freudienne et restaure l’organe de base dont il affine la formalisation : un dispositif fait pour accueillir la libido, un certain désir de savoir intimement lié au désir de savoir dans la cure analytique.

Extraits par Bénédicte Belgacem, cartellisante de l’ACF en MC

Le thème « politique » retenu dans le titre a été éclairé au long de la journée, j’en propose ici quelques touches saisies sur le vif des prises de parole des intervenants.

De l’Acte de fondation de l’École en 1964 dans lequel Lacan donne sa première formalisation du cartel au texte « D’écolage [10]» de mars 1980 où il en affine la formalisation, son enseignement s’est radicalement transformé et malgré cela il ne déroge pas au cartel « organe de base ». Organe pas tant d’organisation qu’organe vital, cœur de l’exécution du travail de l’École, de la formation des psychanalystes ». (Claudine Valette – Damase)

Si la création du cartel pour la formation des analystes par Lacan visait aussi à lutter contre la « dérive intellectuelle du gang anafreudien », cette dérive, c’est encore le refuge du pouvoir qui vient faire rempart à l’acte. (Valentine Dechambre)

L’organisation en petits groupes, petits groupes qui permutent, vise à contrer le réel qui va tout le temps revenir (tentatives de prendre le pouvoir, appel au maître …). (Beatriz González-Renou)

Il y a un point qui touche le rapport au savoir, en ceci que la politique de la psychanalyse appliquée au cartel, ce serait le refus de la mortification du savoir. (Florent Martel)

Le cartel est l’outil qui convient à la propagation désirante du discours analytique. (Hervé Damase)

Au sein du cartel, c’est un savoir pas-tout, un savoir troué qui se transmet. Dans son École, Lacan rassemble des « épars désassortis [11]», les membres ne tiennent pas ensemble par l’identification mais par autre chose. Le cartel a comme visée la démassification. (Claudine Valette – Damase)

« Le Plus-un tire la force de sa fonction justement du fait qu’on ne sache pas exactement quelle est cette fonction [12]». Une fonction vide aurait donc une carte à jouer. Jacques-Alain Miller [13] parle du plus-un comme d’un leader pauvre, aminci, n’ayant qu’une fonction logique. (Nadège Talbot)

Quelques rebonds de la matinée consacrée, après le temps d’ouverture, aux produits ou témoignages de quatre cartellisants puis de quatre plus-un. Au travers des énonciations qui faisaient résonner quelque chose de propre à chacun, comme une clinique du cartel a pu aussi s’apercevoir, grâce, en particulier, à la présence extime de la secrétaire aux cartels de l’ECF.

Dans les huit textes de la matinée, quelque chose de la crise est apparu ; non pas la crise du groupe mais la crise en tant qu’elle nous anime. Cela nous renvoie au texte « D’écolage » de Lacan : « Aucun progrès n’est à attendre, sinon d’une mise à ciel ouvert périodique des résultats comme des crises du travail [14]». (Beatriz González-Renou)

La politique de la psychanalyse est à mon sens une pratique de la surprise. Le cartel produit aussi cette intranquillité, cet inconfort. À la suite d’une séance de travail, j’éprouve régulièrement un sentiment d’inachevé, d’incompréhension, pour autant, un processus est à l’œuvre. Cette “embrouille” me pousse à continuer, à lire de nouveau, à essayer de mieux dire. Le savoir analytique n’est pas une boucle dont on ferait un jour le tour, encore faut-il pouvoir le supporter. (Hélène Bocquet)

Au sein du cartel, il y a une circulation de la libido en tant que désir de savoir. (Beatriz González-Renou)

La conversation en cartel maintient l’ouverture à la contingence. L’application, l’implication des cartellisants comme le désir du plus-un permettent … de saisir un fil sur la question de son existence à travers le travail théorique. (Nadège Talbot)

Références

Références
1 Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Un effort de poésie 2002-2003 », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 11 juin 2003.
2 Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 426.
3 Lacan J., « La psychiatrie anglaise et la guerre », op. cit., p. 101-120.
4 Ibid., p. 107.
5 Ibid., p. 106.
6 Ibid., p. 105
7 Lacan J., « Acte de fondation », op.cit., p. 229-241.
8 Lacan J., « Lettre de dissolution », op. cit., p. 317-319.
9 Lacan J., « D’écolage », leçon du 11 mars 1980 du Séminaire inédit  «Dissolution », Aux confins du Séminaire, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Navarin, 2021.
10 Ibid.
11 Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », op.cit., p. 573.
12 Leblanc V., « Étudier en cartel ou la subversion du savoir », Le poinçon, n°29, Bulletin de l’ACF en MC, 2019, p. 117.
13 Cf Miller J.-A., « Le cartel dans le monde », Lettre Mensuelle, n° 134, 1994.
14 Lacan J., « D’écolage », op. cit., p. 56.

Sophie Boutin, Christine Carteron, Bénédicte Belgacem