La cinquantième journée inter-hôpitaux du 29 mars 2024, organisée par l’association des équipes soignantes psychiatriques d’Auvergne s’est tenue au centre hospitalier de Moulins-Yzeure autour de la question, « L’être humain est-il réductible à ses neurones ? [1] ».
Cette journée visait à situer les enjeux de l’idéologie du tout-neuro et ses conséquences sur les pratiques en institution.
Force est de constater que la thèse neuro s’est infiltrée dans tout le champ psy, réduisant toujours plus le parlêtre à son cerveau. [2]
La bureaucratie sanitaire a pris le parti d’accréditer cette idéologie scientiste du tout-neuro au détriment de toutes les pratiques d’écoute et de parole qui sont pourtant indispensables. « Nous sommes devant une psychiatrie dont la clinique s’organise en fonction des coûts financiers. […] La considération du coût financier entre de plein pied dans le manuel de psychiatrie et fait sortir la clinique, fait sortir le un par un qui devient trop coûteux. […] La codification est là pour réduire le temps passé à l’unique [3] » indiquait déjà Jacques-Alain Miller, il y a vingt ans. Nous y sommes !
« L’association de la science et du capitalisme a produit une logique de maîtrise absolue de la vérité, ce que Lacan dénonçait déjà dès les années 1960 [4]».
Au cours d’un débat avec Henri Ey, Jacques Lacan engageait une critique de l’organicisme soulignant que la causalité de la folie est psychique [5].
Elle s’origine du fait que nous sommes des êtres parlants et que le langage dénature tout rapport au vivant. Tout ne peut pas être compris, contrôlé, anticipé. Ce grain de folie que chacun porte en soi ne se verra pourtant pas sur l’imagerie cérébrale.
Pour autant que le cerveau soit un « carrefour » pour la psychiatrie, « nulle formation n’est plus impropre que celle du neurologue à préparer à la saisie du fait psychiatrique [6]. » indiquait encore Lacan.
Le tout-neuro qui consiste à faire du cerveau la cause unique de ce qui est appelé à l’heure actuelle des troubles, des dysfonctionnements plutôt que des symptômes, est-elle une position éthique ?
« La perspective plurifactorielle et pluricausale incluant la causalité psychique que défend l’invention freudienne de la psychanalyse est fondamentale en psychiatrie car elle offre au patient la possibilité de parler de ce qui le fait souffrir. Sans le recueil de cette parole précieuse : de son histoire, de son vécu, il n’y a aucune chance d’améliorer durablement sa position dans la vie. [7]»
C’est ce que Solenne Albert et Anne Colombel-Plouzennec ont fait valoir par la présentation de leur pratique sur mesure avec des patients qu’elles reçoivent en institution, pratique misant sur un lien de confiance dans la durée.
Cette clinique très fine a suscité un vif intérêt et généré de nombreux échanges avec les participants.
Références
1 | Sont intervenus à cette journée : Jean-Pol Tassin, neurobiologiste, directeur de recherche émérite à l’INSERM, Sorbonne-Université – Solenne Albert, psychanalyste à Nantes, membre de l’ECF et de l’AMP – Virginie Yonh, psychologue, consultations et médiations transculturelles à Nevers et Fabienne Roumier, orthophoniste, consultations et médiation transculturelles à Nevers – Anne Colombel-Plouzennec, psychanalyste à Lamballe, membre de l’ECF et de l’AMP. |
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2 | Cf. le Rapport du comité d’action de l’École Une, « L’évolution de la psychiatrie aujourd’hui », La Cause du désir, n° 112, Paris, Navarin éditeur, 2022, p. 27. |
3 | Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. III », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 4 février 2004, inédit. |
4 | Ibid., « L’évolution de la psychiatrie aujourd’hui », p. 26. |
5 | Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, Paris, Seuil, 1966. |
6 | Lacan J., « D’une réforme dans son trou », La Cause du désir, n° 98, Paris, Navarin éditeur, 2018, p. 11. |
7 | Solenne Albert a intitulé son exposé, « Pour une causalité psychique des symptômes ». |