À la veille des fêtes de fin d’année, l’Association de la Cause freudienne en Massif central a reçu Caroline Doucet, psychanalyste de l’ECF pour une conférence des plus vivifiantes. C’est sous le titre, « Pourquoi une psychanalyse aujourd’hui ? » que Caroline Doucet a démontré, de façon claire et argumentée, que rencontrer la psychanalyse est une chance pour celui qui s’y risque.
Une superbe formule extraite de l’enseignement de Jacques-Alain Miller a marqué les participants : « Il y a un statut de la jouissance qui est celui de l’excès, la jouissance-excès.[…] La jouissance-satisfaction est le rétablissement d’une homéostase supérieure sous les espèces d’un fonctionnement qui inclut l’excès, le routinise, et c’est ce que Lacan appelle sinthome[1]. »
Cette conférence a rencontré un auditoire intéressé par cette question qui fait mouche à l’ère moderne de la science-toute.
C. Doucet a proposé le décryptage d’une « époque à l’imaginaire dépeuplé », une époque où « à faire taire l’inconscient, on exacerbe la pulsion de mort et le passage à l’acte[2] », une époque de « la permission de jouir », une drôle d’époque où les interdits sont en difficulté au regard du droit à. À l’appui d’une éthique des conséquences, elle a indiqué des axes de travail précieux.
Le malaise croissant est accéléré par le chiffrage et la massification du discours de la science. Les effets de jouissance ne trouvent plus de bord et de frein ; la parole se trouve dévalorisée, entrainant un effacement du sujet. En quête de sens et de désir, les sujets souffrent d’ennui ; une instabilité structurale du rapport à l’être s’accentue, le sujet cherchant à justifier, à légitimer son existence. Au nom de signifiants- maîtres qui ordonnent et mettent au pas les individus, cette modélisation en néglige les conséquences et leur pouvoir sur la parole.
Quatre signifiants compacts, univoques, énoncés comme au nom du bien de l’autre, sont épinglés par la conférencière : l’autonomie, l’égalité, la liberté, la dignité. Pour la psychanalyse, il ne s’agit pas là de les dénoncer, mais d’en comprendre les mécanismes et d’en saisir les impasses. Les signifiants-maîtres collectivisent, généralisent. Subversive, l’interprétation psychanalytique a des effets de déségrégation ; elle interroge pour chaque un comment s’est institué le sentiment de la vie. La vie impensable, insupportable est du côté du réel. La psychanalyste rappelle que pour se sentir vivant, il faut le langage : le réel de la vie est à travailler à partir du vivant, du parlêtre.
À partir de cette lecture, elle souligne la boussole que peut être la psychanalyse lacanienne, pour se frayer un chemin. Elle nous propose cet énoncé lumineux : si la jouissance est autiste, le désir, lui, est contagieux.
Pourquoi une psychanalyse aujourd’hui ? La psychanalyse cultive le désir et parie sur « l’amour [qui] permet à la jouissance de condescendre au désir[3] ».
Un cap de travail se dégage, une éthique de l’acte psychanalytique. Citons cet autre propos de la psychanalyste : « L’acte de l’analyste vise à faire vivre la demande d’un sujet par où s’ébauche le désir le plus longtemps possible ». À l’envers de ce qui nous est asséné par le discours du tout-neuro, la psychanalyse interroge « la structure de la faille qui existe entre la demande et le désir[4] ».
L’analyse change la vie, nous dit C. Doucet : « Une analyse, c’est un retour sur la jouissance de la vie sans la souffrance du symptôme ». C’est travailler avec l’impossible. Cette clinique de l’impossible se renouvelle à chaque cas ; il y a toujours quelque chose de plus à dire, il y a toujours place à une vérité nouvelle.
Rigoureusement s’en tenir là, se tenir au ras de cette dimension réelle de la vie et de son insupportable, distingue la psychanalyse des autres discours et en fait un appui contemporain, rigoureux et vivifiant. C. Doucet nous l’a rendu sensible par son intervention savoureuse témoignant de sa praxis décidée, fondée sur l’éthique du vivant en psychanalyse[5].
Mathilde Pagnat
[1] Miller J.-A., « Une psychanalyse a structure de fiction », La Cause du désir, n° 87, 2014, p. 76.
Disponible sur internet.
[2] Miller J.-A., « Fausses promesses du bien-être », conférence du 20 septembre 2008, disponible sur youtube.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 209.
[4] Lacan J., « La place de la psychanalyse dans la médecine. Conférence et débat du Collège de Médecine à La Salpetrière », Cahiers du Collège de Médecine, 1966.
Extraits disponibles sur internet.
[5] Doucet C., « L’éthique du vivant en psychanalyse », Hebdo Blog, n° 319 : « L’éthique du vivant consiste à traiter la composante mortifère du réel pulsionnel d’un sujet pour soutenir la satisfaction sublimatoire nécessaire à sa vie ».