Au fil de cette année 2021-2022, la délégation Brive-Limoges-Tulle a fait résonner des aphorismes de Lacan au croisement des thèmes des J51 de l’École de la Cause freudienne « La norme mâle » et des Grandes Assises Virtuelles Internationales de l’AMP « La femme n’existe pas ».
Trois soirées ont eu lieu sous la forme de Conversations croisées : la première à Tulle le 9 novembre 2021 introduisant le thème du programme « La femme, c’est un rêve de l’homme [1]», la seconde à Limoges le 1er février 2022 à partir de l’aphorisme de Jacques Lacan « Un homme croit désirer une femme alors qu’il l’aime [2]» – citation que reprend Rose-Paule Vinciguerra dans son ouvrage Femmes Lacaniennes [3], la troisième à Brive le 5 Avril sous le titre « Vous y verrez qu’une femme dans la vie de l’homme, c’est quelque chose à quoi il croit [4]».
La lecture d’un extrait [5] de la leçon du 21 Janvier 1975 du Séminaire « R.S.I » dont est issu l’aphorisme, titre de la soirée, a orienté nos discussions. Il s’est agi de repérer comment dans l’enseignement de Lacan, la femme passe de l’objet du fantasme de l’homme à son partenaire-symptôme.
Lacan a pu d’abord considérer que l’homme appréhendait la femme en tant qu’objet du fantasme, venant compléter la part manquante du sujet.
C’est ce que soutient Dominique Laurent dans son texte « Femme-symptôme et homme-ravage » : « La version lacanienne est de dire qu’au moment où elle est reconnue comme objet a par l’homme, elle est en contact avec S(Ⱥ). [6]»
Au fil d’une lecture à plusieurs voix, nos échanges se sont portés sur cette phrase clé du texte : « pour qui est encombré du phallus, qu’est-ce qu’une femme ? C’est un symptôme [7]». Autrement dit, l’homme est aux prises avec la virilité : le phallus, il l’a ou croit l’avoir. Lacan a pu dire : « Le phallus, lui, il l’a, le malheureux [8]». Il l’a mais il ne le trouve pas là où il le cherche. Il va alors le chercher partout, ailleurs, chez les femmes qui prennent une valeur phallique, condition de son désir.
Ce passage de la femme objet du fantasme de l’homme à celui de symptôme introduit une dimension distincte de celle de la jouissance, celle de la croyance : « ce qui constitue le symptôme, ce quelque chose qui se bécote avec l’inconscient, c’est qu’on y croit [9]».
Qu’une femme soit symptôme et pas seulement un objet interchangeable veut dire que la « une » en question porte quelques traits, quelques signes qui la branchent sur son inconscient à lui.
Si une femme pour un homme est symptôme, soit réalisation de son inconscient, on peut dire qu’elle présentifie son rapport à la jouissance phallique, ce que nous livre Lacan dans le Séminaire XVIII : « pour avoir la vérité d’un homme, on ferait bien de savoir quelle est sa femme. […] Pour peser une personne, rien de tel que de peser sa femme [10]».
Lacan dit d’ailleurs dans cette leçon du 21 janvier 1975, qu’il « saute le pas », il saute le pas du réel vers un au-delà du phallus. La femme symptôme s’inscrit comme objet a dans le fantasme de son partenaire et cette manœuvre lui ouvre la voie de la jouissance féminine.
Pour croire à une femme, un homme va se mettre alors à la croire, c’est-à-dire à croire qu’elle dit quelque chose qui le concerne lui directement, dans son être propre. Il croit à ce que dit cette femme, et c’est ce qui s’appelle l’amour.
Des références au cinéma, à la poésie et des intermèdes musicaux ont ponctué la conversation, animant les échanges entre participants.
C’est une référence au couple célèbre de Frida Kahlo et Diego Riveira qui est venue éclairer notre travail : dans les moments les pires, Frida demandait à Diego : « Pourquoi est-ce que je vis ? » Et il répondait : «Pour que je vive ! » Diego avouera : « Plus j’aimais une femme, plus je cherchais à lui faire du mal ! » De Frida il dira : « Si j’étais mort sans l’avoir connue, je serais mort sans savoir ce qu’est une vraie femme ! » Depuis son lit d’hôpital, elle lui écrira pour rompre, en indiquant savoir qui elle était pour lui : « On va m’amputer d’une jambe, mais moi… je t’ampute de moi ! [11]» Comment mieux définir ici et là ce que le corps et l’amour ont de commun : donner ce qu’on n’a pas !
Nous aurons le plaisir de poursuivre ces échanges lors de la venue de Fouzia Taouzari, psychanalyste à Nantes, membre de l’ECF et de l’AMP, qui nous fait l’honneur de donner une conférence à la Médiathèque de Limoges le samedi 11 juin 2022 à 14h30, sous le titre « Ce qui définit l’homme, c’est son rapport à la femme et inversement [12]».
Références
1 | Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », 4 octobre 1975, La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 15. |
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2 | Lacan J., Le Séminaire, livre XV, « L’acte psychanalytique » leçon du 27 mars 1968, inédit. |
3 | Vinciguerra R.-P., Femmes lacaniennes, Paris, Éditions Michèle, 2014, p. 44. |
4 | Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I », leçon du 21 Janvier 1975, Ornicar ?, n°3, mai 1975, p. 109. |
5 | A partir de l’extrait « La femme, c’est parfaitement dessinable […] une femme est un symptôme » in Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I », leçon du 21 Janvier 1975, op. cit., p. 108-110. |
6 | Laurent D., « Femme-symptôme et homme-ravage », La Cause freudienne, n°63, 2006, p. 39. |
7 | Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I », op. cit., p. 108. |
8 | Lacan J., Le Séminaire, livre v, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 350. |
9 | Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I », op. cit., p. 109. |
10 | Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2007, p. 35. |
11 | https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-des-ailes-de-mouette-noire-portrait-en-miroir-de-frida-kahlo |
12 | Lacan J., Le Séminaire, livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, op. cit., p. 31-32. |