Commentaires de citations du Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent » (1973-1974), inédit de Jacques Lacan

Matisse H., "Le luxe II", 1907.

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Ce sera la troisième fois que je parlerai de ce Séminaire de Lacan, pour ceux qui sont participants à la Section clinique de Clermont-Ferrand. J’en ai parlé en 2020 lors de la session « Croire à l’inconscient », sur le versant de la croyance ; se faire la dupe de l’inconscient. Puis j’en ai parlé en octobre 2021 à propos de « L’interprétation ».

Lorsque Valentine Dechambre m’a proposé d’intervenir au séminaire d’étude, j’ai été porté tout naturellement vers cette question de La femme qui n’existe pas, centrale dans ce Séminaire XXI. Mon étude consistera en un commentaire de citations de Lacan extraites de ce Séminaire.

Lacan y tient et noue plusieurs fils, en particulier dans ce Séminaire qui suit le Séminaire xx, Encore, séminaire de scansion, majeur dans l’enseignement de Lacan. On aura donc là des répliques, des effets retards et les développements de Lacan.

À l’étude et au commentaire suivant l’étude, j’ajouterai ma recherche autour de la réponse à la question : S’il n’y a pas de rapport sexuel qui puisse s’écrire, pourquoi n’y a-t-il pas de rapport sexuel ? Je resserre un peu la question : est-ce que les deux sexes ont le même rapport, si je puis dire, à l’absence du rapport sexuel ? Qu’est-ce qui fait obstacle à ce rapport ?

Je prends un premier fil. Finalement je vais en prendre deux. Mais au point de recouvrement de ces deux, il y aura un nœud qui en fait un troisième qui va tout au long de ce Séminaire.

Je commence avec la leçon du 15 janvier 1974. Ce sont des morceaux choisis car le Séminaire foisonne de références à La femme qui n’existe pas, au féminin, à la question homme ou femme [1]:

« Il n’y a pas de rapport sexuel […] qui puisse s’écrire, […] moyennant quoi ce qui s’écrit, [dit Lacan], c’est qu’[…] il n’existe pas de « ƒ » [petit ƒ comme écrit en mathématique], de « ƒ » [de fonction] tel qu’entre x et y qui ici signifient le fondement de tels des êtres parlants à se choisir comme de la partie mâle ou femelle, ceci [qui n’existe pas de « ƒ »], cette fonction qui ferait le rapport, cette fonction de l’homme par rapport à la femme, cette fonction de la femme par rapport à l’homme, il n’en existe pas qui puisse s’écrire.

C’est écrit ƒ (x,y). Eh bien ça n’existe pas.

« C’est ça la chose ; la chose que je produis devant vous, c’est ce que quelque part – car je me répète, comme tout le monde, il n’y a que vous pour ne pas vous en apercevoir – [2]» dit-il à son auditoire, avec lequel il n’est pas très amène dans ce Séminaire, tout au long de l’année.

Oui parce que ça je ne l’ai pas précisé, vous avez sur Radio Lacan l’audiophone de la première leçon, de la leçon d’ouverture de ce Séminaire. On peut trouver l’ensemble des leçons en audiophone [3].

« La chose que je produis devant vous […], il n’y a que vous pour ne pas vous en apercevoir – c’est ça que j’ai déjà énoncé sous le nom de « La Chose freudienne » [4]». Donc « La Chose freudienne », ça se rapporte très exactement au rapport sexuel qu’il n’y a pas.

Je fais trois remarques, trois commentaires sur cette citation.

Première remarque, il y a une tentative de produire une écriture du rapport sexuel qu’il n’y a pas. De quoi s’agirait-il ? Il s’agirait d’écrire, de mathématiser, de logifier dans une écriture logique, mais plutôt mathématique, le rapport sexuel qu’il n’y a pas. Il s’agirait d’écrire l’impossible du rapport sexuel, de produire une écriture qui le démontre. C’est une piste que Lacan pose là, mais qu’il n’explorera pas davantage. Il ne l’écrit pas. Il n’y a pas de formule qui écrirait l’impossible du rapport sexuel. Le rapport sexuel ne peut pas s’écrire.

Deuxième remarque : je souligne : « les êtres parlants [se choisissent], comme de la partie mâle ou de la partie femelle [5]». Évidemment cela pose la question de ce choix tout à fait particulier. Quelle est la nature de ce choix ? Est-ce que ce choix ne serait pas de l’ordre de ce que Lacan appelle « l’insondable décision de l’être » ? Nous y reviendrons.

Enfin, troisième remarque. Dans « La Chose freudienne [6]», sans que Lacan l’ait énoncé, il nous dit qu’il s’agit du rapport sexuel qu’il n’y a pas. Je dirais qu’il s’agit de ce qui vient à la place, pour permettre la rencontre, dans la méconnaissance. Et ce qui vient à la place dans la méconnaissance, c’est l’objet a dans l’usage du fantasme, grâce à la médiation du fantasme.

Je poursuis dans la même leçon : « Dans cet Imaginaire qui est justement ce que met en question la moindre expérience du discours analytique, il n’y a rien de plus flou que l’appartenance à un de ces deux côtés, celui que je désigne de x, [côté mâle], et l’autre de l’y [côté féminin], justement en ceci que, du même coup, il faut que je marque qu’il n’y a nulle fonction qui les relie [7]

Cette tentative d’écrire ne démontre rien. C’est un postulat.

L’expérience analytique, nous dit-il, en mettant en question l’imaginaire, fait apparaître qu’il n’y a rien de plus flou que l’appartenance au côté femelle ou au côté mâle. Donc rien à attendre de l’imaginaire. C’est une thèse forte qui s’appuie sur l’analyse de l’imaginaire. À partir de l’imaginaire, ou peut-être en raison de l’imaginaire, de sa nature, on ne saurait définir le côté mâle et le côté femelle. Cela concerne ici la détermination par l’imaginaire, c’est-à-dire par l’image du corps ou ce qui peut s’imaginer et se produire dans ce registre.

Lacan fait un pas de plus dans la leçon du 19 février 1974 : « Dans un monde ni fait ni à faire, un monde totalement énigmatique, dès qu’on essaye d’y faire entrer ce quelque chose qui serait modelé sur la logique et dont se fonderait que dans l’espèce dite humaine on est ou homme ou femme. C’est très spécialement ce contre quoi s’élève l’expérience [8]». C’est un pas de plus. Si dans l’imaginaire on ne peut distinguer homme et femme, peut-on le faire par le recours à la logique ? Lacan répond non, « ou homme ou femme, c’est intenable ». C’est une distinction logique qui ne tient pas. Il n’y a rien pour la fonder d’un point de vue logique, on ne distingue pas, à partir de l’expérience analytique, homme et femme. Lacan affirme que ça ne fonctionne pas plus que par l’abord imaginaire.

Il fait remarquer que Freud va chercher dans la biologie humaine qu’il n’y a pas de différence, au niveau des tissus, entre mâle et femelle. Lacan considère que cette recherche est superflue parce qu’on voit bien que ce qui détermine, ce n’est pas un savoir. C’est un dire : « Ce n’est un savoir que parce que c’est un dire logiquement inscriptible [9]».

Alors, cette fois, retour de la logique. Non pas au niveau d’un savoir déjà là qui serait à relever et à révéler, mais au niveau d’un dire. Ça n’est pas déjà là, il n’y a pas de savoir de ce qui distingue homme et femme. S’il y a une distinction homme / femme, c’est au niveau du dire. Je ne commenterai pas les formules de la sexuation. Pour ce soir je veux aller chercher autre chose. C’est le côté recherche de ce travail. Je laisse donc de côté le développement sur les formules quantiques de la sexuation, pour rester centré sur mon propos.

J’extrais un point de cette avancée de Lacan : quel est « ce dire » ?

Côté mâle, nous dit-il, c’est l’universalité du dire ; il y a un x tel que non phi de x, « ∃x Φ̅ x » [10]. Tous ceux qui disent que la fonction de la castration est vraie, et donc s’appuie sur l’exception, de le dire, se rangent côté homme.

Côté féminin, je cite : « c’est du dire formel, quoique dire de personne, non-existe x [11]» [c’est un dire formel, mais ça reste un dire] qu’il n’y a pas la négation de la fonction phallique [c’est-à-dire qu’il n’y a pas de x tel que non Φx ; c’est la double négation de cette formule quantique]. Et c’est la seule forme d’universalité du dire d’une femme quelle qu’elle soit [12]».

Je souligne la dimension du dire, soit d’un acte de parole à partir duquel le sujet va se ranger côté homme ou côté femme. Un dire, ici, ce n’est pas un donné, ce n’est pas un savoir. C’est une parole qui à la fois fait acte et événement. C’est un dire qui troue, qui fait bord, qui apporte une mutation, une transformation, une modification.

Je cite : « Le dire vrai, c’est ce qui achoppe sur ceci que, pour, dans un « ou, ou » intenable qui serait que tout ce qui n’est pas homme est femme et inversement, ce qui décide, ce qui fraye n’est rien d’autre que ce dire qui s’engouffre dans ce qu’il en est du trou par où manque au Réel ce qui pourrait s’inscrire du rapport sexuel. [13]» Ce qui décide, ce qui fraye n’est rien d’autre que ce dire.

Je vous invite à lire la suite de la leçon, dans laquelle Lacan indique que l’analyse fraye la voie d’un au-delà du principe de contradiction, en fait la portée. L’analyse fraye la voie d’un au-delà du principe de contradiction, lequel se réfère au possible, alors que c’est la voie vers le Réel par le chemin de l’impossible qui donne accès à ce que Lacan nomme l’invention. Vous le trouverez dans le cours du texte.

Vous voyez le troisième fil qui fait nœud. C’est le fil du dire même.

Je fais ici une parenthèse qui va nous ramener à notre actualité, à l’année trans et à la suite. D’abord à l’actualité de l’ECF qui a pris pour titre, pour ses prochaines Journées d’étude, « Je suis ce que je dis ». Étant donné que je viens de parler du dire dans la sexuation, ça mérite il me semble quelques premières approches et précisions.

Je suis ce que je dis concerne éminemment le choix du genre, pas le choix du sexe. Déjà il y a un déplacement qu’il nous faut relever. Ça concerne le choix de genre, mais bien au-delà de l’autodéfinition qui a cours dans le délire contemporain telle : se définir soi-même, s’autoproclamer. C’est une affirmation du registre du moi, pour dire les choses en termes freudiens ; du moi qui s’autoproclame. Cette affirmation peut être variable dans le temps. Il sera intéressant, dans ces Journées, d’examiner la question de la temporalité. Je suis ce que je dis, mais jusqu’à quand ? On voit là que ce n’est pas un dire qui fait acte, ce n’est pas un dire qui ferait événement.

Il y a aussi à examiner comment le sujet méconnaît plus globalement, plus généralement ce qui le détermine, à se dire ceci ou cela. Rejet de l’inconscient, pourrait-on dire de cette affirmation : Je suis ce que je dis. C’est ce qui a été en jeu, dans la loi sur l’accompagnement des sujets transgenres qui a fait l’objet d’amendement, à la Cause freudienne notamment, pendant le débat parlementaire [14].

C’est au long cours d’une analyse que précisément le sujet examine comment il est parlé plus qu’il ne parle, comment il a été dit plus qu’il ne dit, qu’il découvre le texte qu’il est. Et Lacan y insiste jusqu’à la toute fin de son enseignement, sur ces paroles qui ont été dites. Le sujet a été dit plus qu’il ne dit, d’où la portée d’un dire vrai. Dans le cours d’une analyse, ce faisant, le sujet se défait des identifications pour atteindre éventuellement le point du dire vrai que Lacan avance ici.

Je peux prendre un exemple très actuel des implications vertigineuses du principe contemporain autoproclamé, autoaffirmatoire : Je suis ce que je dis. Concernant l’affirmation de l’identité sexuée, on prend couramment l’exemple des compétitions sportives dans lesquelles les transgenres MtF raflent les titres.

On peut en considérer un autre ; cette pensée un peu saugrenue m’est venue le 25 février, au lendemain du début de l’invasion russe de l’Ukraine. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, le 25 février, a déclaré la mobilisation générale. A partir de ce qu’il a dit, tous les hommes entre 18 et 60 ans ont dû se rendre dans les casernes pour être incorporés à l’armée ukrainienne. Eh bien je me suis dit que dans une telle circonstance, que se passerait-il si on appliquait le principe de l’autoaffirmation du genre et du sexe ? Il y a là un réel qui semble bien incontournable. Je pose la question sans y répondre, évidemment. Je rajouterais qu’un nombre très important de femmes se sont enrôlées spontanément sans y être obligées, montrant là le courage qui les caractérisent.

Je remarque que dans une telle circonstance où le réel est en jeu, l’autoaffirmation apparaît comme purement imaginaire.

Je reviens au Séminaire. Nous avançons dans le temps. Nous voici le 9 avril 1974. Lacan tente de répondre à une question qui lui a été posée à Rome lors d’un voyage qu’il vient d’y faire, à savoir s’il y a des correspondances entre les quatre formules quantiques et les quatre discours. Il précise comment cela pourrait se produire, comment on pourrait faire cette correspondance. Il dit : « Si a [petit a] prenait la place de x dans les formules quantiques, […] je vais vous en donner ce qui s’en implique, ça pourrait se dire comme ça :  » l’être sexué ne s’autorise que de lui-même « . C’est en ce sens qu’il a le choix, je veux dire que ce à quoi on se limite pour les classer mâle ou féminin, dans l’état-civil. Enfin, ça n’empêche pas qu’il a le choix, [l’être sexué]. Ça bien sûr tout le monde le sait, il ne s’autorise que de lui-même, j’ajouterai : « et de quelques autres ». [15]» Les lecteurs attentifs de Lacan que vous êtes auront reconnu cette formule de Lacan concernant l’analyste qui ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres, qui donnera à la fois un principe de formation et aussi le point d’appui de la passe. Cet aspect-là, que je ne commenterai pas ce soir, est très présent dans ce Séminaire.

Je reviens à l’autorisation du choix du sexe, au « il ne s’autorise que de lui-même et j’ajouterai de quelques autres ». Je commente : c’est très évident côté masculin, le choix de l’être ne s’accomplit que sous le régime de la castration, c’est-à-dire du il existe au moins un, autre, un x tel que non phi de x. Il y faut au moins un autre. Donc quelques autres, ça commence par un, mais cela suppose secondairement que le sujet partage ce rapport à la castration avec quelques autres. Ça c’est bien connu côté masculin.

Suit un développement dans lequel Lacan parle de façon plaisante et intéressante de l’homosexualité masculine. Il précise, il fait entendre qu’« homosexualité » est un terme impropre. En effet, « homo », c’est le même, là. Or le sexuel c’est ce qui se rapporte à la découpe de l’espèce humaine en deux. Donc c’est une contradiction dans les termes et il dit qu’on a utilisé d’autres termes, je vous laisse aller découvrir ça, en latin, dans le texte.

Ce qui est intéressant à remarquer, je le souligne, c’est qu’ici en rappelant telle phrase du Prince de Condé, il évoque non seulement l’identification sexuée mais le choix d’objet. Cela est très intéressant par rapport à la distinction qui a cours actuellement où l’on fait très attention de bien distinguer les deux. Lacan n’est pas de ce côté-là. Nous, nous avons tendance à séparer les deux alors qu’ici, Lacan évoque l’être sexué qui ne s’autorise que de lui-même. Il noue les deux : choix du sexe, choix d’objet. Pour lui donner sa profondeur, notons que dans la même leçon, Lacan amène une notation personnelle : « Il peut arriver que j’aime une femme, comme à chacun d’entre vous. C’est ces sortes d’aventures dans lesquelles vous pouvez glisser. Ça ne donne pourtant aucune assurance concernant l’identification sexuelle de la personne que j’aime, pas plus que de la mienne. [16]» Ça c’est très fort. C’est dire que ni le choix de l’être sexué, ni l’amour c’est-à-dire ici le choix d’objet, ne définissent à eux seuls l’identification sexuée, sexuelle. Lacan noue les deux.

Après la question du choix du sexe, j’en viens à mon deuxième fil : le rapport qu’il n’y a pas. Dans le Séminaire Encore, le rapport qu’il n’y a pas, on sait que ce qui y supplée : c’est l’amour. Mais je relève ici un autre abord de la question par Lacan. Le 15 janvier 1974, je le cite : « Le savoir masculin chez l’être parlant est irrémédiablement unaire. Il est coupure, amorçant une fermeture, justement celle du départ, ce n’est pas son privilège. Il part pour se fermer, et c’est de ne pas y arriver qu’il finit par se clore sans s’en apercevoir. [17]» Voyez la torsion de la chose, pour dire que ce savoir masculin, chez l’être parlant, c’est le rond de ficelle. La thèse est que même si le parcours que suit Lacan amène des torsions, on arrive à cette idée très simple, très forte que ce savoir masculin tourne en rond. En lui, il y a de l’Un comme trait qui se répète, d’ailleurs sans se compter. Et de tourner en rond, il se clôt sans même savoir que de ces ronds, il y en a trois, ces fameux trois ronds à lui, les trois ronds du nœud borroméen. Comment pouvons-nous supposer qu’il arrive à en connaître un bout de cette distinction élémentaire ? Pas tout seul, ça c’est très clair. Ben, heureusement, pour ça, il y a une femme.

« Je vous ai déjà dit que la femme, naturellement c’est ce qui résulte de ce que j’ai déjà écrit au tableau que La femme, ça n’existe pas, mais une femme, ça peut se produire, ça peut se produire quand il y a nœud ou plutôt tresse. Chose curieuse, la tresse, elle ne se produit que de ce qu’elle imite l’être parlant mâle, parce que elle, elle peut l’imaginer, elle le voit strangulé par ces trois catégories qui l’étouffent. [18]»Donc, fin de citation. Nous avons « Un » d’un côté et « tresse » de l’autre. C’est ainsi que Lacan présente ce qui supplée. On saisit le contraste entre ce qui se présente d’un côté comme tournage en rond, répétition et de l’autre nœud, plus exactement tresse. L’homme ramène le trois à l’un, alors qu’une femme les tresse, les laissant exister en tant que tels.

C’est un point que Lacan souligne tout au long de ce Séminaire, la différence de régime, de mode, entre homme et femme.

Lacan aborde la question dans la leçon du Séminaire, le 11 juin 1974, d’une manière qui m’a surpris. J’avais déjà lu ça mais je ne l’avais jamais relevé. Jusqu’alors, Lacan présentait l’identification sexuée des deux côtés du tableau de la sexuation, alors qu’ici il avance qu’il n’y a d’identification sexuée que d’un côté. C’est une citation : « Il n’y a d’identification sexuée que d’un côté. […] Ça veut dire qu’il n’y a qu’une femme qui est capable de les faire [les identifications sexuées]. Pourquoi pas l’homme ? Parce que vous remarquez que je dis une femme et l’homme parce que l’homme, […] l’homme lui il est tordu par son sexe. Au lieu qu’une femme peut faire une identification sexuée [19]». Donc, vous l’aurez relevé comme moi, l’homme strangulé, l’homme tordu par son sexe n’a pas à s’identifier. Ça s’impose à lui, sans médiation, sans marge, sans aucun jeu. L’homme s’égale à son inconscient, son savoir inconscient, alors que côté féminin, l’identification met une distance, une mesure, une marge, du jeu dans le nœud, dans la tresse. Et Lacan précise qu’une femme n’a même que ça à faire, puisqu’il faut qu’elle en passe par la jouissance phallique qui est justement ce qui lui manque.

Il faut qu’elle en passe par la jouissance phallique, c’est-à-dire qu’elle s’identifie pour aller au-delà. Et ce n’est pas-tout dans la jouissance phallique que se produit la jouissance de la femme : « il lui en reste un bout pour elle de sa jouissance corporelle, c’est ça que ça veut dire le pas-toutisme. Et bien cette jouissance de la femme est plus liée au dire qu’on ne l’imagine ». Et il précise « le lien de la jouissance de la femme à l’impudence du dire […] L’impudence, ce n’est pas l’impudeur [20]».

Concluons ces commentaires là où Lacan conclue son Séminaire. Je le cite : « Parce que si j’ai dit que l’homme existe, j’ai bien précisé que c’est dans la mesure où c’est lui qui, par l’inconscient, est le plus chancré, échancré même. Mais une femme conserve, si je puis dire, un petit peu plus d’aération dans ses jouissances. Elle est moins échancrée, contrairement à l’apparence. [21]» Là, il tire un peu pour amener ce jeu sur chancre et échancrure.

A partir de là, je peux avancer un peu dans la réponse à la question que je posais au début : « Qu’est ce qui fait obstacle au rapport sexuel ? » Si La femme n’existe pas, l’homme existe, et bel et bien. Que l’homme existe ne veux pas dire que tous les mâles soient des hommes, c’est-à-dire se rangent du côté homme du tableau de la sexuation. Formulons différemment : il n’y a pas de rapport sexuel parce que l’inconscient est mâle. Il est répétition du un. C’est la base du discours du maître, du discours de l’inconscient.

Alors pourquoi n’y a-t-il pas de rapport sexuel, pas de rapport sexuel qui puisse s’écrire ? Qu’est ce qui y fait obstacle ? Faisons comme Freud. Commençons par le côté masculin, ce que Lacan a fait. J’ai dit il y a fort longtemps à la Section clinique que la face de la psychanalyse en aurait été changée si Freud avait commencé par le côté féminin, pour situer ensuite le côté masculin en référence, peut-être en manque par rapport au côté féminin. Que ce serait-il passé si le masculin avait été défini par différence et donc par manque avec le féminin ?

Je fais un pas de plus dans mon étude en ouvrant une piste de travail. Du côté masculin, rien ne fait obstacle à ce que s’écrive le rapport sexuel. Du côté de la fonction f(x,y) on a le premier terme : l’homme existe. Il y a une définition totalisante, unifiée de l’homme. Il y a suffisamment pour écrire l’homme. C’est l’inconscient. C’est le discours du maître. C’est le phallus, l’origine phallique. C’est ce qui fait que d’un certain point de vue, un homme égale un homme parce qu’il y a l’Homme. Un homme peut en remplacer un autre. L’inconscient, comme nous l’avons thématisé dans l’Ecole il y a quelques années, est hommo (avec deux m) sexuel.

C’est du côté féminin que ça ne peut pas s’écrire et c’est précisément parce que La femme n’existe pas. « C’est la faute à Ève », comme le chantait la regrettée Anne Sylvestre. Il n’y a pas de rapport sexuel parce que La femme n’existe pas. Lacan dit : « Il n’y a pas La femme mais des femmes, une par une, diverses. [22]» Moyennant quoi, pas de rapport qui puisse s’écrire f(x,y). Il faudrait essayer d’écrire quelque chose comme f(x) d’un côté, et puis (y, y’, y’’,y’’’) jusqu’à yn, infini ; l’infini des femmes. Écriture impossible donc, puisqu’on ne peut pas mettre yn. Il faudrait écrire chaque femme.

Côté homme, ça s’écrit. Le problème, c’est que ça ne cesse pas de s’écrire. Ce qui fait la différence, bien évidemment, c’est par le dire, par la parole qui fait acte côté femme, alors que de l’autre côté, on s’en passe. Je finis par une citation, dans l’avant-dernière leçon du Séminaire : « J’annonce si je puis dire le thème de mon prochain Séminaire, pour ce qui est de L’homme et d’abord quand je dis L’homme, je l’écris avec un grand L, à savoir qu’il y a un « tout homme ». Pour l’homme l’amour, j’entends, ce qui s’accroche, ce qui se situe dans la catégorie de l’imaginaire, pour l’homme, l’amour ça va sans dire. L’amour ça va sans dire parce qu’il lui suffit de sa jouissance et c’est d’ailleurs très exactement pour ça qu’il n’y comprend rien. Mais pour une femme, il faut prendre les choses par un autre biais. Si pour l’homme ça va sans dire parce que la jouissance couvre tout, y compris justement qu’il n’y a pas de problème concernant ce qu’il en est de l’amour, la jouissance de la femme, et c’est là-dessus que je terminerai aujourd’hui, la jouissance de la femme, elle, ne va pas sans dire, c’est-à-dire sans le dire de la vérité . [23]»

Transcription réalisée par l’équipe de la bibliothèque de l’ACF en MC à partir de l’exposé de Jean-François Cottes lors de la séance du 11 mars 2022 du séminaire d’étude de l’ACF en MC.

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Références

Références
1 Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 15 janvier 1974, inédit.
2 Ibid.
3 www.radiolacan.com/fr/podcast/seminaire-xxi-les-non-dupes-errent-cours-inaugurale/2
4 Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », op. cit.
5 Ibid.
6 Lacan J., « La chose freudienne », Écrits, Paris, Seuil, p. 401-436.
7 Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », op. cit.
8 Lacan J., « Les non-dupes errent », op. cit., leçon du 19 février 1974.
9 Ibid.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Cf. Loi n° 2022-92 du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne www.legifrance.gouv.fr.
15 Lacan J., « Les non-dupes errent », op. cit., leçon du 9 avril 1974.
16 Lacan J., « Les non-dupes errent », op. cit., leçon du 19 février 1974.
17 Lacan J., « Les non-dupes errent », op. cit., leçon du 15 janvier 1974.
18 Ibid.
19 Lacan J., « Les non-dupes errent », op. cit., leçon du 11 juin 1974.
20 Ibid.
21 Ibid.
22 Lacan J., « Les non-dupes errent », op. cit., leçon du 23 avril 1974.
23 Lacan J., « Les non-dupes errent », op. cit., leçon du 12 février 1974.

Transcription réalisée par l’équipe de la bibliothèque de l’ACF en MC à partir de l’exposé de Jean-François Cottes lors de la séance du 11 mars 2022 du séminaire d’étude de l’ACF en MC.