C’est un triptyque. Cette année était celle du second volet. Après « La femme n’existe pas », le congrès 2024 de l’AMP se réunissait sous le titre « Tout le monde est fou ». Ce triptyque est marqué d’une cohérence : à chaque congrès, 2022, 2024, le titre tient d’un aphorisme de Lacan.
Dans la composition chimique de l’aphorisme, il y a cette particularité : son prononcé est passé dans la langue courante au point qu’il s’agit d’une évidence. De fait, nous perdons au passage de son piquant ou de sa puissance conceptuelle.
Il s’est agi, cette année encore, de mettre un aphorisme au travail pour situer à nouveaux frais et avec son auteur, Lacan, la portée épistémique qu’il engage.
Certes, déblayons ce terrain : il y a ce qui passe de ces aphorismes par le rabot du sens commun. Tout le monde est fou ? Mais non, on ne peut pas dire ça ! Ça peut arriver en effet qu’il y ait des fous, mais soyons prudents, pas tout le monde ! Ce serait cela, le sens commun, l’enfermement de la fausse prudence comme habillage, l’habillage comme une densité dont on fait le moelleux d’une tuerie silencieuse. On discute savamment – le plus souvent, ce n’est pas très savant, reconnaissons – sur oui non peut-être et quel pourcentage. On dose un flacon vide et on croit que le bruit d’ambiance serait la science.
Mais il existe un autre enjeu. Prenons cette remarque de Jacques-Alain Miller, formulée en entrée de son cours du 15 novembre 2006 : « Alors qu’est-ce que la disance ? C’est la langue telle qu’elle est parlée par les gens d’un métier. » Un congrès de l’AMP réunit aussi de ces gens d’un métier ; nous prendrons le terme de métier avec souplesse, car il est permis de douter que « psychanalyste » soit un métier. Mais, isolément, admettons et tordons un peu le métier comme une sorte de mouvement par lequel on remet sur le métier sans cesse. Après avoir distingué la disance du jargon, J.-A. Miller poursuit : « je m’efforce de ne pas me laisser porter par la disance des psychanalystes. Et aussi à distance de la disance que je laisse à Lacan, son dire, la responsabilité de son dire, le trait singulier de son dire, qui est toujours amorti dans la disance. »
C’est à cela que nous sommes convoqués avec un congrès de l’AMP : ne pas amortir la disance de Lacan.
Celui de 2024 réunissait 2400 participants. Il y eut la grande conversation de l’École Une, qui permit d’apercevoir des facettes contemporaines de ce « Tout le monde est fou ». Il y eut les simultanées qui mirent au travail cette fois l’exemplarité du cas et l’enseignement qu’il y a lieu d’articuler. Puis, il y eut les plénières. À cette occasion, J.-A. Miller vint ponctuer à plusieurs reprises les exposés proposés.
À l’heure du père et à l’occasion d’une conversation à propos du président Wilson, celui de Freud et Bullitt dont nous ne saurions que trop relire l’ouvrage et l’exceptionnelle préface de Gérard Miller qui l’accompagne dans l’édition française aux éditions Payot, J.-A. Miller proposa ceci qui étendit la question de la forclusion : le père par le manque, en amont, est marqué du zéro. Mais il y a le père sans limite ordonné à l’infini qui piétine le fils – ici, avec Wilson. Trop de père serait alors aussi une forclusion du père. Un « Tout le monde est fou » qui concernera donc aussi, dirons-nous, la structure de langage.
Le prochain congrès ? En 2026, à Paris. Le triptyque, suite : « Il n’y a pas de rapport sexuel ». Directrice : Agnès Aflalo. À dans deux ans !