« Interpréter, scander, ponctuer, couper », tel était le thème des Journées de l’École de la Cause freudienne cette année. Une année placée sous le signe de la présence des corps, puisque pour la première fois depuis la crise sanitaire, il était possible d’y assister à la Maison de la Mutualité à Paris.
Les salles des simultanées étaient pleines et attentives et l’on pouvait ressentir ce désir d’être ensemble à nouveau pour entendre les nombreux cas qui ont été déployés par des professionnels soucieux de leur pratique. Dans une simultanée, Hervé Castanet soulignait que nous avions la chance de pouvoir réfléchir et échanger sur un thème au cœur même de la psychanalyse et du travail de l’analyste. Chaque intervenant a témoigné de ces moments de coupure, de scansion, cette interprétation de l’analyste qui fait de la cure analytique, une pratique à nulle autre pareille et qui la différencie radicalement de la psychothérapie.
Un analyste dit à son analysant sur le pas de la porte en fin de séance : « Il faut adoucir la fêlure ». Cette phrase qui interprétait la dépression du patient aura des effets immédiats, lui permettant de temporiser et de trouver des ancrages. Une psychanalyste nous a montré comment, en ponctuant les dires d’un enfant – qui avait des propos très mécaniques et répétitifs – avec un : « Ah bon ? Non ! », coupure et ponctuation provoquèrent d’abord une grande angoisse chez l’enfant, puis lui permirent de trouver une amorce d’activation de la chaine signifiante, et de faire rencontre. Une intervenante ponctuait avec justesse : « Mais au nom de quoi on interrompt le ronron ? Faut-il que la personne puisse le supporter ! ». C’est justement là toute la délicatesse de l’analyste.
Dans cet outillage de l’analyste, il s’agit de « déranger la défense » ajoutait H. Castanet reprenant Lacan : « on parle tout seul, parce qu’on ne dit jamais qu’une seule et même chose, sauf si on s’ouvre à dialoguer avec un psychanalyste. Il n’y a pas moyen de faire autrement que de recevoir d’un psychanalyste ce quelque chose qui en somme dérange, d’où sa défense et tout ce qu’on élucubre sur les prétendues résistances[1]».
Dimanche en plénière, l’historien François Hartog a permis de nous interroger sur l’interprétation de l’histoire qui « avec sa grande hache et son petit h » – ce qui nous renvoie au grand A et petit a de la psychanalyse lacanienne – doit réunir le passé, le présent et le futur et les faire tenir ensemble. Or, l’histoire ne sert plus à glorifier le passé, après Auschwitz et Hiroshima « où le passé ne passait pas », ni à louer un futur porteur d’espoirs, car l’avenir n’augure que des catastrophes pandémique et climatique. À l’ère de l’anthropocène, la modernité n’est plus à célébrer mais à déconstruire. À notre époque, l’historien ne peut plus être l’interprète du temps car le présent a absorbé le passé et le futur. Le présentisme rend la crise perpétuelle.
Dans son témoignage, Carolina Koretsky, nouvellement nommée Analyste de l’École (AE), a évoqué le temps si précieux de la cure analytique et de quelle manière !
Jacques-Alain Miller a introduit son témoignage comme celui où ne figure pas de traversée de fantasme, ni de chute du a ou du A, ou de nouage au sinthome. Le témoignage de l’AE, sa présence, mobilisèrent l’attention des nombreux participants de la plénière.
La fin de son analyse fut un moment de surprise qui eut un effet immédiat : elle nous décrivit de manière incisive, sans concession et non sans humour, comment elle dut « s’arracher de son acharnement ».
Une interprétation de son premier analyste, « Comme cela a dû être dur ! » après la description qu’elle avait fait de son enfance, fut déterminante pour stopper la banalisation de son vécu.
Son dernier analyste, énonçant « Vous voulez partir sans partir », lui permit d’accepter d’être une énigme pour soi-même et de devenir, comme le souligne J.-A. Miller en conclusion : « Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. »
Références
1 | Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 11 janvier 1977, inédit. |
---|